S’intéresser à cette actrice, c’est s’intéresser à une comédienne au jeu classique, mais dans le bon sens du terme. Une comédienne au jeu sobre et net ; on n’est pas dans l’hystérie du jeu, pas dans l’effet à tout prix ou le baroque comme beaucoup d’autres actrices ou acteurs qui recourent beaucoup trop souvent à ces figures de style, histoire d’exister ou de se faire remarquer ou du fait de leur formation initiale (du style Laetitia Dosch, Mathilde Seigner, Valéria Bruni-Tedeschi ou même Gérard Depardieu).
Classicisme sur le fond et la forme des rôles, ce qui se traduit par des rôles forts mais qui s’inscrivent aussi dans une certaine forme de cinéphilie avec des thématiques diverses mais passionnantes, comme l’empathie et la reconnaissance de la différence dans le couple, l’amour maternel comme vocation universelle (dans le futur « Continuer » de Joachim Lafosse notamment), l’alternance vie privée/vie professionnelle et ce que cela induit comme souffrance ou aliénation (comme dans « VICTORIA »(2016) de Justine Triet), rester digne dans des situations dramatiques ; voilà, une des problématiques des rôles joués par cette comédienne. Rôles qui sont à ranger dans des schémas postféministes, mais pas que…
https://rutube.ru/video/e2b473b79f4a0531b0d5055de8a447d8/
https://www.youtube.com/watch?v=PhglJht2Q7g
S’intéresser à cette comédienne à travers sa filmographie, c’est assimiler son caractère foncièrement sympathique, voire grand public et qui sera mis en avant ou remis en question cependant par ses rôles (souvent risqués) ; c’est affirmer sa relation étroite avec le public (ancienne animatrice TV), c’est elle qui le reconnaît dans le nouveau numéro de STUDIO trimestriel.
https://www.dailymotion.com/video/x67l1ev
https://www.youtube.com/watch?v=LH8hqytfe6Q
Une femme normale prise dans des situations anormales ou aliénantes (sur le plan professionnel notamment) et qui passe par divers états émotionnels, comme le désespoir, la joie, la tristesse voire la dépression, d’où reconnaissance voire identification par les spectateurs ; c’est particulièrement vrai pour « Victoria »(2016) où elle passe par divers états émotionnels: le silence des regards, la colère rentrée, le visage interrogateur ou l’addiction aux drogues.
De plus, par ce film (génial) de Justine Triet, je reprendrai les arguments de l’article de « Libération » de septembre 2016, qui décortiquent avec justesse les diverses composantes de ce long métrage, à savoir 3 parties:
https://next.liberation.fr/cinema/2016/09/13/victoria-cours-magistral-d-alchimie_1495998
1) La comédie dépressive classique.
Des situations vaudevillesques:
2) La comédie psychanalytique (sous le sceau d’un lacanisme revendiqué).
https://culture494.wordpress.com/2018/06/05/le-film-victoria2016-au-miroir-de-la-psychanalyse-lacanienne/
Une psychanalyse assise et de face:
3) La comédie moléculaire (un cours magistral d’alchimie selon l’article de « Libération », avec des phrases cultes comme : « on est comme 2 molécules aux atomes gangrénés » ou « tu ne trouves pas que cela marche bien chimiquement entre nous » à la toute fin du film).
L’humain et le singe: un schéma moléculaire ressemblant.
Des corps qui s’attirent, mais se disjoignent également (molécules contraires):
Ainsi, le génie de ce film et de la mise en scène est d’imbriquer ces 3 stades (ou échelles) de représentation et les comédiens s’en donnent à coeur joie (et jouer à ces diverses échelles pour les comédiens et bien chapeau bas!) ; premier stade: jouer les situations de comédie classique, second stade: situations interprétées de manière psychanalytique (aussi bien pour les personnages (séances chez le psy lacanien) que les spectateurs et qui font ainsi sens), troisième stade: interprétation moléculaire (les personnages se ressemblent mais sont foncièrement différents de manière biologique, les atomes gangrénés…).
Diverses échelles qui me font dire que ce film est aussi la quintessence des comédies jouées par Virginie Efira (la comédie, art du dérèglement par excellence) et prend ainsi en compte divers stades de jeu et de situations (et le montage très rapide du film participe à la compréhension des scènes et à l’unité du film).
Dérèglement à tous les niveaux, dans son travail d’avocate (Victoria Spick interroge elle-même une de ses clientes pour savoir la marche à suivre juridique qu’elle doit prendre face à son ex, inversion des rôles), dérèglement dans le bordel organisé de son appartement, dérèglement dans sa vie privée avec tout ces hommes qu’elle reçoît chez elle (avec l’inénarrable INTELLO BG 75), dérèglement dans sa manière de bouger (à chaque épreuve, elle tombe par terre littéralement) et de parler. Par ce film, le genre (comédie dépressive) connaît ainsi son apogée.
Le titre anglais:
D’autre part, comme le rappelait un des scénaristes de « Victoria », Thomas Lévy-Lasne, dans les bonus de ce film, Virginie Efira possède, sur le fond, un capital sympathie indéniable pour le grand public ; on peut la mettre dans des situations impossibles, inextricables voire dramatiques ; elle possédera toujours ce caractère sympathique, d’où caractère d’identification de la part des spectateurs, ce qui fait aussi la force et l’originalité de ses films. Et comme le soulignait aussi Justine Triet dans un numéro des « CAHIERS DU CINEMA », Virginie Efira est dans la lignée des femmes fortes ou supposées comme telles (comédiennes du style Anne Bancroft (« MRS ROBINSON » dans » le Laureat »(1967)) ou Joan Crawford), classicisme du jeu (elle en fait peu pour faire passer des émotions complexes) pour des rôles qui ne le sont pas. Femmes fortes mais avec des fêlures cachées et qu’il s’agira de découvrir ou de montrer.
ANNE BANCROFT:
https://www.youtube.com/watch?v=hY3nxeiE7Xc
C’est donc particulièrement vrai dans 2 scènes dans « VICTORIA », une première fois où on la voit se rendre au café blog de son ex et elle s’aperçoît que son ex raconte toute leur vie commune et des anecdotes sur sa vie professionnelle d’avocate (scène impressionnante où tout passe par son regard furieux, léger travelling avant sur le visage de Victoria Spick) et enfin, scène du tribunal, gros plan de Victoria Spick lorsque le juge lit les énormités que son ex a rédigé sur elle (choses peu flatteuses).
En 2 scènes, Virginie Efira arrive à faire passer toute une gamme d’émotions et notamment la fureur et la colère rentrées (importance des situations aussi et force des dialogues qui engendrent ces scènes ; c’est là où l’on voit que le médium cinéma est remarquable pour montrer et ausculter les travers humains, l’aliénation professionnelle, sociale face à des structures inhumaines ; en ce sens, c’est un art total…).
Différents états émotionnels dans « VICTORIA »:
La fureur contenue au tribunal:
Chez la cartomancière:
Le malaise physique et psychique:
Sous acide:
Les affres de la dépression:
En outre, par ses rôles futurs et les risques artistiques afférents, ce capital sympathie lui sera bien utile pour des rôles pas faciles dans des films qui ne le seront pas moins, que ce soit « BENEDETTA » de Paul Verhoeven ou « un amour impossible » de Catherine Corsini (sortie le 07 novembre). Comme elle dit dans le dernier « STUDIO », ce qui l’intéressait dans ce rôle de mère de famille bafouée dans « un amour impossible », c’est jouer une femme complexée par son statut social et sa supposée infériorité intellectuelle face à un bellâtre qui la manipule et l’écrase socialement. Et c’est justement la beauté de ce casting, faire jouer à Virginie Efira des femmes normales dans des situations qui ne le sont pas ou qui amènent des formes d’aliénation sociale, d’où phénomène d’identification et de compréhension par le spectateur lambda.
Dans « BENEDETTA » de PAUL VERHOEVEN:
https://www.youtube.com/watch?v=9s-6fMiFSL8