Le démon du soir ou la ménopause héroïque

Qui a dit que la femme de plus de 60 ans n’existait pas dans la BD contemporaine ? Avec Le démon du soir ou la ménopause héroïque, Florence Cestac s’attaque à un monument de la bande-dessinée, peu vu dans les albums : la future retraitée de plus de 60 ans. Critique de l’album et interview de son auteur.

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Elle n’en peut plus d’ailleurs cette femme-là, elle doit tout assurer, un boulot prenant, un mari ombrageux et infantilisant, des enfants absents, des petits-enfants encombrants et une mère excentrique… Florence Cestac, dans la lignée de son plus gros succès Le démon de midi, paru en 1996, ne nous décrit plus une femme trompée allègrement et avec humour, mais une femme ex-soixante-huitarde qui n’en peut plus de toutes ses obligations sociales ou professionnelles et qui se rend compte qu’elle va passer à côté de sa vie à l’aube de la soixantaine. Son cancer naissant du sein sera comme un révélateur de son mal-être et malaise social. Elle décide de tout larguer, son mari en premier, pour vivre dans le sud de la France, à l’intérieur d’un mas à reconstruire et à rénover. S’en suit des aventures picaresques où l’on se rend compte qu’être indépendante (ou femme libérée ?), n’est pas si facile (« ne la laisse pas tomber, elle est si fragile… », refrain connu).

Florence Cestac, la bande dessinée comme terrain de combat féministe -  rts.ch - Livres

Faut-il rappeler que Florence Cestac est une formidable observatrice de la vie quotidienne des femmes depuis plus de 20 ans . Elle nous les décrit débordées, que l’on oublie trop de câliner, entourées de personnes peu bienveillantes à (son) leur égard.

Comme toujours chez Cestac, le tragique s’accompagne de tons humoristiques irrésistibles ou de description « gratinée », comme la mère de l’héroïne qui se prend pour Brigitte Bardot. Encore un défi relevé avec brio : nous montrer une femme ignorée de la BD : l’ex-soixante-huitarde sur occupée, mais que l’on va mettre bientôt sur le bord du chemin sur tous les plans (familiaux, professionnels,…). Elle décide de reprendre sa vie en main, au grand dam de son mari et (des) de ses enfants, peu réceptifs à toute révolution. Florence Cestac assume d’être un auteur féministe et c’est vrai que sa bibliographie commence à regorger de classiques du genre, que ce soit Le démon de midi ou encore Des salopes et des anges, paru en 2011, sur les horreurs liées à l’avortement avant la loi Veil de 1974.

Bandes dessinées - Des salopes et des anges - DARGAUD

Elle s’inscrit aussi, même si elle ne s’y reconnaît pas (lire ci-dessous) dans la renaissance de la BD dite « girly » ; elle-même en a été précurseur dans bien des domaines et dans la description de ces femmes-modèles aux vies quotidiennes souvent harassantes. À une époque où l’on continue encore et toujours à enfermer les femmes dans un modèle patriarcal étouffant – comme en ont encore témoigné les manifestations anti-mariage pour tous, ce type d’album est toujours salutaire.

Florence Cestac a été éditrice, attachée de presse, graphiste, coloriste, vendeuse chez « Futuropolis »…mais aussi depuis son arrivée en 1994 chez Dargaud, titulaire de nombreux prix BD – dont le fameux grand Prix d’Angoulême en 2000 -, preuve de son influence grandissante, de ses thématiques récurrentes et donc une grande spécialiste du monde BD aussi bien de ses chapelles revendiquées, de son marché spécifique mais aussi de ses limites actuelles (pas assez d’auteures femmes ?) tant sur le plan des ventes que des idées dessinées. Retour sur la carrière d’une artiste qui n’a pas sa langue dans la poche. Un régal de lecture. Entretien réalisé en juin 2013.

DV: Dans la BD La véritable histoire de Futuropolis, vous le montrez bien, vous avez fait un peu tous les métiers : coloriste, graphiste, attachée de presse, vous avez été dans des festivals, vous avez livré des stocks de livres un peu partout en France. Justement, on peut se demander ce qui a coulé cette maison d’édition en 1994 ?

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Florence Cestac : Quand vous avez des projets qui intéressent les gros, ces gros vous rachètent comme ils veulent. Le banquier qui vous dit du jour au lendemain, les découverts c’est terminé et alors vous déposez le bilan et comme par hasard, il y a monsieur Machin qui vous rachète pour un franc symbolique.

DV : Vous pensez que c’est lié ?

Florence Cestac : Bien sûr. Les petits éditeurs, ils défrichent le terrain, découvrent de nouveaux auteurs et quand cela commence à marcher, hop ils vous rachètent.

DV : Futuropolis, rachetée par Gallimard en 1994, est devenu un « label dormant » par la suite.

Florence Cestac : C’est vrai que lorsque je suis partie la première et Étienne Robial ensuite ; c’est resté endormi pendant à peu près des années et après, ils ont fait redémarré le truc. C’est resté cinq ans sans publication majeure.

DV : Par la suite, vous n’étiez plus lié du tout à cette maison d’édition, car des fois, on vous catapulte à un poste symbolique ou honorifique.

Florence Cestac : Ça n’a pas été le cas. On avait vendu à un euro symbolique.

DV : Vous avez l’étiquette d’auteur féministe, êtes-vous d’accord avec ça ?

Florence Cestac : Oui. Je suis d’accord avec cette étiquette-là. Les féministes se sont battues pour faire avancer un peu le droit des femmes. C’est ma génération. J’assume complètement.

DV : Vous êtes la seule dessinatrice à vous intéresser aux femmes de plus de 60 ans.

Florence Cestac : J’ai la chance d’être chez un bon éditeur qui accepte les idées un peu farfelues et quand ça marche, je suis contente.

DV : D’ailleurs, avez-vous eu de bons retours pour le dernier ?

Florence Cestac : Oui, excellent pour le dernier. Il est déjà réédité.

DV: Aux « Crayonantes » de Nantes, vous aviez déclaré que vous n’étiez pas franchement ravie de l’adaptation ciné du Démon de midi alors que, paradoxalement, maintenant tout auteur BD qui se respecte se doit d’avoir une bonne adaptation BD au cinéma ou même à la TV ; on le voit pour beaucoup d’auteurs BD comme Uderzo, Morris ou Franquin.

Florence Cestac : Autant l’adaptation théâtre du Démon de midi était intéressante, autant l’adaptation cinéma ce n’était pas ça. Autant j’ai trouvé Michèle Bernier intéressante au théâtre, autant au cinéma, je la trouvais beaucoup moins bien. Mais tout cela est lié à des problèmes de droit. Moi, je ne m’en mêle pas, après ce que l’on en fait…

DV : Pour le dernier album, y a-t-il des droits en cours ?

Florence Cestac : Il y a des deals en attente, mais on attend, il n’y a rien de fait.

DV : Avec la création de Futuropolis et votre montée à Paris, vous avez été témoin, dans les années 1970, de l’explosion de la BD comme mass-média.

Florence Cestac : Oui bien sûr, on a vécu tout cela de près, on a vu la création de Métal Hurlant, À suivre. On a participé à cette explosion, bien sûr.

DV : Vous rendiez-vous de compte de cela à cette époque ?

Florence Cestac : Non, on ne pouvait pas imaginer à l’époque que la BD deviendrait un truc aussi énorme que maintenant avec autant de succès. Bien sûr que non. On ne se disait jamais que l’on avait mis la main sur un filon et que cela allait être formidable.

DV: Vous travailliez pour l’Art, vous n’étiez pas du tout arriviste à Futuropolis.

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Couverture de Flash Gordon (Futuropolis), tome 1 : 1934-1936

Florence Cestac : Bien sûr, à « Futuropolis », on faisait des albums que les auteurs ne pouvaient pas faire chez les autres éditeurs, c’est-à-dire un format 30*40 invendable, inrangeable dans les bibliothèques, en noir et blanc. On adaptait l’auteur aux livres et non l’inverse. L’auteur participait directement à la création de son livre par la pagination, le papier, la couverture, c’était très important pour nous.

DV : C’est le lot de beaucoup de petites maisons d’édition de vivre cahin-caha jusqu’à ce que ça pète, non ?

Florence Cestac : Oui bien sûr, vous montez n’importe quelle boîte ; au début, tout le monde a du mal, on finit par s’engueuler entre associés, on a des dettes et on est racheté à la fin.

DV: Vous allez chaque année à Angoulême ? Vous faites partie du jury du grand Prix ?

Florence Cestac : Oui, étant récompensée en 2000 du Grand Prix, je fais automatiquement partie du jury qui va élire chaque année le lauréat du Grand Prix.

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DV : En mai, lors de l’émission de Stéphane Bern A la bonne heure sur RTL, vous avez déclaré que le monde de la BD était trop masculin et que les femmes, dans cet univers, occupaient des tâches souvent ingrates…

Florence Cestac : J’y ai dit effectivement que c’était un monde essentiellement masculin, avec 10 à 20% de femmes seulement et 90 % de la production réalisée par des hommes et achetée par des hommes. Il y a ici un véritable problème d’éducation ; quand j’étais petite, on achetait des BD à mon frère et à moi des livres pour bien savoir tenir une maison. Heureusement, par la suite, il y a eu des auteurs comme Franquin qui ont fait de la BD autant pour les filles que les garçons, il y a donc ainsi de plus en plus de femmes qui font de la BD à l’heure actuelle car elles en ont lu étant petites. C’est un vrai problème culturel.

DV : Actuellement, on voit une renaissance de la BD dite « girly », avec des auteurs comme Pénélope Bagieu ou Margaux Motin…de la BD très contemporaine.

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Florence Cestac : Elles racontent ce qu’elles voient de leur époque, je ne sais pas faire cela moi, je suis trop vieille pour cela ; elles racontent leur époque présente et je vois que lorsqu’elles dédicacent, elles ont un public féminin qui se reconnaît en elles. Cela marche car les jeunes filles se retrouvent en elles.

DV : Vous avez fait aussi de la BD jeunesse.

Florence Cestac : Oui tout à fait, j’ai fait la famille « Déblok » pour le Journal de Mickey.

DV : Vous faites de la BD presse ?

Florence Cestac : Non, pas du tout. C’est trop difficile. De manière générale, c’est extrêmement difficile de durer dans le monde de la BD et notamment pour sortir du lot. Vous sortez un album, il a un mois ou deux pour se vendre ; si cela ne marche pas, c’est fini ; si les gens n’en parlent pas, cela passe à la trappe.

DV : Le fait de passer en 1994 de Futuropolis à Dargaud a-t-il été une chance pour vous ?

Guy Vidal:

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Florence Cestac : Oui car j’ai rencontré un éditeur formidable qui s’appelait Guy Vidal à Dargaud. S’il n’avait pas été là, je ne serai pas là où j’en suis. Je lui dois beaucoup. C’est comme une rencontre amicale ou amoureuse, il faut tomber sur les bonnes personnes. Chez « Dargaud », j’y suis bien, ils me suivent sur mes propositions, une BD sur la ménopause on y va, Des salopes et des anges, on y va, une BD sur Charlie Schlingo, on y va. C’est formidable que Jean Teulé m’ait suivie dans cette histoire. D’ailleurs, dans l’album Futuropolis, je disais qu’il faudrait réaliser une BD sur ce monsieur, sur sa vie.

DV : Vous avez dû en voir défiler des auteurs ? De futures perles aussi ?

Florence Cestac : Bien sûr, on en a vu de toutes sortes, oui. Comme dans la vie, il y en avait des sympas, des cons, des chiants…par exemple, beaucoup d’auteurs de la future Association ont commencé chez nous, à la collection « X ». On a aussi publié un fanzine qui s’appelait Labo. Une petite revue que l’on faisait tous les mois, je ne m’en souviens plus très bien.

DV : Une question un peu polémique, le Étienne Robial en question, c’est celui qui a fait de la prison en même temps que vous en 1968 ? Plus longtemps que vous d’ailleurs ?

Florence Cestac : Oui, c’est lui.

DV: C’est lui dont votre père considérait que c’était un pseudo-délinquant et un méchant dans une de vos BD (« la vie en rose », Dargaud, 1998)? Le même qui a été décoré par Frédéric Mitterrand plus de 40 ans après en tant qu’officier des Arts et des Lettres…

BLOG.lenodal.com : Rencontre avec Etienne Robial

https://www.youtube.com/watch?v=VXTx-sccPsQ

Florence Cestac : Oui mais à l’époque, on était considéré comme de dangereux propagandistes. On avait enlevé tous les emblèmes nationaux lors d’un 14 juillet du côté d’Arcachon.

DV : Le Étienne Robial en question, comment a-t-il pris Le démon de midi ?

Florence Cestac : Au début, ça lui a fait tout drôle et après il s’est dit, « oh, elle a fait sa petite BD, ça lui a fait du bien et ça ira pas très loin » et comme cela a fait un énorme succès, ça l’a considérablement emmerdé.

DV : Vous avez un ton humoristique assez développé, mais vous montrez parfois les hommes comme des êtres lâches ou les hommes avachis devant leur télévision, avec la bière à côté.

Florence Cestac : Moi, je les regarde les hommes et si j’en ai décrit certains comme cela, c’est que j’en ai vus des comme ça. Se gratter les couilles devant la télévision, c’est un grand classique, non ? Le nombre de mecs qui se grattent les couilles devant la TV, c’est inimaginable (rires).

DV: J’espère qu’ Étienne Robial a un bon fond, car il est décrit comme quelqu’un de veule et de lâche dans « le démon de midi ».

FlorenceCestac: Oui s’il a de l’humour ; je dénonce des choses en gueulant donc les mecs doivent faire attention à se comporter comme cela. Oh et puis c’est rigolo vous savez, c’est pas bien méchant.

DV : On fait souvent le lien Étienne Robial-Florence Cestac, cela ne vous agace-t-il pas un peu ?

Florence Cestac : On a vécu 22 ans ensemble, ça compte, on a fait un enfant ensemble, ça compte évidemment. On ne peut pas couper les liens comme cela. On a fait beaucoup de choses ensemble, une maison d’édition par exemple.

DV : Vous alliez dans la même direction en tant qu’artistes et éditeurs ?

Florence Cestac : Oui, chez Futuropolis, il y avait de tout. Nous avons édité les gens que nous avons aimés et qui nous séduisaient ; moi j’étais plus dans l’humour et les gros nez, lui était dans le poétique et le plus compliqué, genre Edmond Baudoin. On avait chacun nos domaines de compétences respectifs mais on a poussé des auteurs que l’on trouvait formidables.

DV : Vous avez fait les Arts décos à Paris. Vous avez beaucoup appris dans cette école ?

Florence Cestac : Les Arts décos, rien du tout (rires). J’ai fait les Beaux-Arts à Rouen pendant trois ans, on passait le CAFAS à l’époque et ensuite, on pouvait intégrer la deuxième année sur Paris aux Arts décos. Moi je voulais absolument quitter ma province et monter à Paris. Les Arts décos c’était après Mai 1968, c’était un bordel monstre, je n’ai rien compris, j’ai redoublé ma première année et je me suis tirée au bout de deux ans.

DV : Pourtant dans « la vie d’artiste » (Dargaud, 2002), vous montriez que vous étiez en complet état d’admiration devant certains enseignants.

Florence Cestac : Oui bien sûr, il y avait quelques enseignants qui étaient formidables, mais c’était toujours des AG en permanence, ainsi que des réunions. Je n’avais pas compris ce qu’il fallait faire comme boulot, ça ne m’a pas plu et j’ai quitté très vite.

DV : Avez-vous eu des retours de politiques sur Des salopes et des anges car cette BD est aussi une sorte de manifeste, non ?

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Florence Cestac : Non, rien du tout. Très peu de choses, ça ne rentre pas dans leur monde, je crois.

DV : Vous y montriez une réalité assez sordide ?

Florence Cestac : Tout à fait. On raconte bien que ce que l’on a connu. Et moi, ce voyage en Angleterre, je l’ai vécu et c’est en en parlant à Tonino Benacquista qu’il m’a dit qu’il fallait la raconter car ça ne l’a jamais été fait. C’est parti de là en fait. Il y a plein de jeunes filles qui me disent, ah bon c’était comme ça à l’époque. Ah là là, mais on ne savait pas tout ça. Il y a un côté éducatif dans cette BD.

DV: À l’heure actuelle, ce n’est toujours pas simple d’avorter.

Florence Cestac : C’est de pire en pire. On est en train de retourner en arrière et c’est devenu très compliqué de se faire avorter dans des conditions décentes.

DV: En gros, il faut de l’argent.

Florence Cestac : Pour ceux qui ont de l’argent, la vie n’est pas un problème mais pour les autres, démerdez-vous. Il y a des problèmes de délais maintenant pour s’inscrire dans les cliniques, c’est infernal. On n’avance pas, on recule dans ce domaine.

DV: Justement, vous vous servez du média BD pour dénoncer cet état.

Florence Cestac : Bien sûr. C’est comme lorsque l’on parle de la ménopause, c’est presque un gros mot la ménopause. Quand vous parlez d’une femme ménopausée, ah là là quelle horreur, cela n’existe pas. À 60 ans, on n’est pas foutu comme femme. On est la première génération où l’on doit s’occuper des enfants, des petits-enfants et même de nos parents. La génération de 1968, on est une génération de battantes ; on n’est pas vieille à 60 ans, on continue à bien vivre et on est en pleine santé.

DV: Et l’auto-édition, vous y avez pensé ?

Florence Cestac : Je pense, pour ma part, que l’on ne peut pas être à la fois auteur et éditeur. Ce sont deux métiers radicalement différents, il y a un moment où il faut faire des choix. Moi-même, j’ai été éditrice au départ et maintenant, je suis auteur et je resterai maintenant auteur.

DV : J’ai réalisé une interview d’Hermann où il n’est pas tendre avec le Festival d’Angoulême (cf lien http://www.fragil.org/focus/2229).

Florence Cestac : Il n’a jamais eu le Grand Prix, c’est pour cela. Il y a environ plus de 4 500 albums qui sortent chaque année, il y a toujours des mécontents. Le Grand Prix d’Angoulême, c’est une récompense pour l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. Pour le jury, on est une vingtaine ou une trentaine maintenant à se réunir, il y a un nom qui sort et c’est la démocratie, on vote pour lui ou non. Des fois, cela se joue à une voix près, c’est comme ça.

DV: Votre dernier album, vous avez mis combien de temps à le dessiner ?

Florence Cestac : Comme une grossesse, 9 mois. Le scénario environ deux mois et après, dessiner c’est la récompense. Quand je dessine, je mets la musique, la radio, je pense à autre chose. On peut se détendre alors que l’écriture, cela demande beaucoup plus de concentration.

DV : Vous avez participé à l’aventure du Poulpe ?

Florence Cestac : Oui, avec Francis Mizio et j’ai collaboré aussi avec René Pétillon pour Super catho.

DV : Actuellement, voyez-vous des menaces dans votre création ou autocensure ?

Florence Cestac : Non, du tout. On me perçoit comme un auteur rigolo qui fait de la BD rigolote avec des personnages avec des gros nez et ça ne va pas plus loin. En fin de compte, c’est plus pernicieux que cela mes BD.

DV : En ce qui concerne la BD dite »girly »…

Florence Cestac : Tout le monde essaie de m’en faire dire du mal. C’est des trucs de nanas et c’est pas important…alors que non, il faut leur laisser le temps d’évoluer, de grandir et de devenir des auteurs à part entière, leur laisser faire leurs premiers pas. Elles racontent ce qu’elles vivent au quotidien.

DV : À une certaine époque, on considérait la BD comme un « art mineur ». Cela a-t-il bien évolué ?

Florence Cestac : Oui mais maintenant, les jeunes sont décomplexés avec ça. Quand j’ai commencé, c’était plutôt les derniers de la classe qui faisaient de la BD.

DV : Vous êtes aussi très critique vis-à-vis de l’éducation artistique dans le secondaire.

Florence Cestac : Ah oui, c’est nul. C’est fait souvent par des profs qui sont souvent là des peintres refoulés. Les profs de dessin dans les collèges, c’est souvent à pleurer ; ça ou rien, c’est à pleurer, c’est comme la musique.

DV : On vous a proposé de donner des cours ?

Florence Cestac : Je l’ai fait à une époque. J’intervenais dans des classes et justement, il faut que ce soit vivant, ludique. J’arrivais bien à les choper les mômes, ils vous disent : « moi, je ne sais pas dessiner » et moi, je leur disais, « tu sais dessiner une patate, tu dessines une grosse patate pour le visage et une autre pour le corps » et les mômes, ça les décomplexait d’un seul coup et après, c’était parti, on ne pouvait plus les arrêter.

Propos recueillis par Dominique Vergnes – Photos : ©Éditions Dargaud

Angela Davis: histoire d’un symbole

Angela Davis fut de passage à Nantes en mai 2015 pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage. L’occasion de revenir sur le parcours de cette activiste de la cause noire et pionnière des droits des femmes aux USA. Un véritable symbole vivant.

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Angela Davis est noire et femme. Un double handicap pour une personne née dans les années 1940 dans un état du sud des Etats-Unis ségrégationniste : l’Alabama. Combat de toute une vie comme le montre si bien le documentaire Free Angela diffusée ce lundi 11 mai au Cinématographe de Nantes en présence d’Angela Davis. Le militantisme, elle connaît, la clandestinité aussi, les prisons américaines de même jusqu’au couloir de la mort. Elle fut accusée à tort de complicité d’évasion de militants noirs qui se solda par la mort d’un juge blanc.

Photo du film Free Angela - Photo 11 sur 14 - AlloCiné

Angela Davis s’en est sortie grâce à une mobilisation américaine et internationale sans précédent et fait partie des grandes personnalités américaines héritées du XXe siècle. Membre du parti communiste américain, elle utilise son aura médiatique pour alterner conférences, comme celle qui a eu lieu au Lieu unique à Nantes, et sorties médiatiques. Dans le même temps, Angela Davis reste toujours une universitaire, une intellectuelle chevronnée qui écrit des articles de haute tenue et réfléchit sur le monde carcéral, faisant le lien entre minorités sociales, économiques et présence pénitentiaire.

En effet, pour Angela Davis, les prisons engendrent de la pauvreté, accentuent de nouvelles formes de délinquance, voire même industrialisent l’exploitation économique des minorités par leur force de travail et leurs orientations sociales. Selon elle, la prison reste toujours un lieu de domination blanche sur les minorités, surtout aux USA. Ces thématiques lui tiennent beaucoup à cœur, elle en a fait un de ses nombreux chevaux de bataille, appartenant notamment au mouvement Critical résistance, développant l’idée de démanteler ces lieux et de proposer d’autres alternatives.

Si les Noirs ont acquis de nombreux droits grâce au mouvement des Droits civiques aux USA, il faut, selon Angela Davis, aller au bout de la dénonciation des logiques de domination blanche en passant par un autre mouvement abolitionniste au XXIe siècle : celui des prisons. C’est pourquoi, la présence d’Angela Davis trouve tout son sens à ces journées de commémoration nantaise, ainsi qu’à l’école de la seconde chance du côté de l’agglomération nantaise pour une rencontre avec des élèves en réinsertion.

Angela Davis est revenu, lors de sa conférence du LU, sur le sentiment d’insécurité et la loi sur le renseignement voté le 5 mai 2015 par les parlementaires français. « Je me sens désolée pour cette loi, a-t-elle déclaré. Il faut savoir tirer les leçons de ses voisins. Après le 11 septembre, le Patriot act a conduit à l’emprisonnement de centaines de personnes aux États-Unis et à la triste actualité de Guantánamo. se sentons-nous mieux protégés pour autant ? »

Angela Davis a fait ensuite un parallèle entre les crimes et délits commis récemment par les policiers blancs américains contre la population noire à Baltimore notamment et la situation en France, avec les violence policière subies par les migrants. « Il ne faut pas croire que ce qui est gravé dans le marbre ne s’effacera jamais, qu’une victoire entraîne systématiquement une autre victoire, le passé nous a montré qu’un pas en avant est trop souvent suivi de deux pas en arrière. »

Free Angela (2011), le documentaire de Shola Lynch, se définit clairement comme un reportage militant. Il est composé d’images d’archives et de témoignages des principaux intéressés. On y voit des militants des Black panthers, les présidents Nixon et Reagan, des agents du FBI mais aussi Nina Simone venue soutenir Angela Davis en prison. Il est intéressant de noter que ce sont les activistes noirs, les leaders noirs politiques (David Dinkins, Jesse Jackson ou feu Tom Bradley, ancien maire de Los Angeles…) et la montée progressive d’une classe moyenne noire américaine qui ont permis aussi les acquis des Droits civiques aux USA et la libération progressive de prisonniers politiques des Black Panthers dont Angela Davis, militante communiste avérée qui a reçu aussi les soutiens des Internationales communistes, notamment en France.

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DAVID DINKINS: Afficher l'image d'origine

TOM BRADLEY (1917-1998):

Tom Bradley: Mayor of Los Angeles: Eric Oatman: 9780021506972: Amazon.com:  Books

Angela Davis est toujours restée fidèle au sens de ses engagements politiques. Membre éminente du PC américain, elle fut candidate deux fois aux élections présidentielles en 1980 et 1984, sous leurs couleurs. Elle s’est aussi interrogée sur le sens du militantisme des Black Panthers, sur le rôle des femmes dans le mouvement notamment quand on connait le caractère machiste revendiqué des Black Panthers, volonté de s’affranchir du leadership des hommes noirs dans la vie quotidienne et le militantisme.

Le documentaire Free Angela revient sur ces combats, le contexte politique tendu des années 1960 et 1970, les méthodes militantes des Black Panthers, la vie dans la peur au quotidien et la clandestinité (notamment dans les grandes agglomérations dont New-York), les stratégies juridiques des prisonniers noirs face à la justice blanche, etc. En tous les cas, Angela Davis, emprisonnée en 1970 et libérée en 1972, est bien le symbole de tout ces combats politiques américains, elle continue toujours de défendre ses idées militantes à travers le monde par ses conférences, livres et articles. Pas mal pour une femme noire qui se dit marxiste, féministe, lesbienne revendiquée et pro- libertaire. Une belle personne en somme.

Autobiographie d’Angela Davis (édition de poche, Paris, 1974)

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Les films « survival »

Le film d’Inarritu « the revenant »(2016), aussi talentueux soit-il, rentre bien dans le cadre d’autres films à la thématique ressemblante, à savoir les films de survie dans un monde hostile. Films de survie qui abreuvent nos écrans et ont beaucoup de points communs depuis ces dernières années, films anglo-saxons le plus souvent. Analysons ces points communs.

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Paysages sauvages, nature aride, civilisation absente et fin du monde…voilà le quotidien harassant de ces survivants ; si les films sont l’occasion de nous sortir de notre quotidien bien noir et monotone, les films « survival » sonr souvent un plaisir des yeux et possèdent même un contenu didactique, à savoir comment survivre dans un milieu bien hostile, s’adapter à des conditions de vie dangereuses dans un environnement le plus souvent revenu à l’état sauvage, ce qui amène les hommes à s’adapter, voire à dompter cette nature hostile afin de retrouver des moments d’humanité.

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Pendant la période de la Guerre Froide, les séries ou films post-apocalyptiques étaient foison, il n’est qu’à citer « la quatrième dimension » ou des films d’anticipation comme « Soleil Vert »(1973), « la planète des singes »(1968) ou « la guerre des mondes »(1953). Films et séries qui ne sont que la quintessence  de problèmes à long terme ou de thématiques d’actualité, à savoir le péril nucléaire, le réchauffement climatique, la montée inexorable des inégalités, de la violence et de la délinquance en tout genre. Sans oublier les épidémies qui menacent inexorablement tous les humains et comme, de bien entendu, n’ont pas de solutions à plus ou moins long terme.

 

Comme pour « the revenant », dans ces films-là, le personnage vit des moments « bigger than life » et doit retrouver les ressources intérieures et extérieures pour survivre, c’est particulièrement vrai pour un film comme « 127 heures »(2011) ou « New-York 1997″(1981) ; en ce sens, ce sont des films didactiques où l’on apprend par exemple à rationner sa nourriture, son eau, à supporter des températures très élevées ou très basses, à se déplacer sans carte dans un milieu très hostile. On doit savoir faire avec peu, monter une tente avec un simple couteau, préserver l’eau dans une gourde ou affronter ces blessures avec courage, voire savoir combattre une faune très menaçante.

En effet, le personnage ou héros du film est amené à se dépasser physiquement, mais aussi intérieurement afin de survivre ; cela passe par des moments d’introspection, de rêves liés le plus souvent à la famille, à la femme aimée ou aux amis (cas flagrant du film « 127 heures ») dans des séquences oniriques, voire mystiques. En outre, dans le monde anglo-saxon, des vues bien moralisatrices définissent ces longs métrages, ce sont des films « lanceurs d’alerte », des films d’anticipation car c’est clair le monde court vraiment à sa perte si on continue à alimenter le péril nucléaire, à évoluer dans un monde de réchauffement climatique ou de pollution grandissante où les problèmes de santé et d’épidémies menacent notre civilisation (mais si!).

 

De plus, le personnage du film, le plus souvent, n’est plus seul dans un monde hostile (ce serait un peu trop monotone!) et est amené à rencontrer d’autres compagnons d’infortune voire à collaborer avec eux, il s’agit aussi de savoir s’organiser et travailler en groupe. Groupe solidaire le plus souvent ou qui se craquele suivant les dangers rencontrés. Voilà aussi la vérité des personnages, se redéfinir dans un milieu hostile ou guerre mondialisée. En ce sens, ce sont aussi des films politiques ; à la menace extérieure, à l’effondrement de la société va succéder une prise de conscience collective de renaissance et de vivre ensemble, un nouvel espoir donc. Espoir politique, mystique ou social, la lumière au bout du tunnel donc…sauf pour quelques films nihilistes comme « la planète des singes »(1968) ou « 28 jours plus tard »(2003).

La fin de « la planète des singes » (1968):

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C’est particulièrement vrai pour un film comme « les chemins de la liberté ». Le pitch: en 1940, un groupe de sept prisonniers décide de s’évader d’un goulag sibérien. Pour ces hommes venus de tous les horizons (on retrouve un Américain, un officier polonais ou des Russes des steppes…), s’échapper de cet enfer deviendra une vraie obsession, devenue réalité. Ces 7 personnes vont parcourir plus de 6 000 kilomètres, à travers la toundra sibérienne glacée, les plaines de Mongolie, les fournaises du désert de Gobi puis les sommets de l’Himalaya. L’Inde, alors sous contrôle britannique, y est le but ultime. Certains s’arrêteront en chemin, d’autres ne survivront pas aux épreuves. Mais la route est longue, les rencontres risquées, les conditions physiques épouvantables, et chacun a ses propres secrets. Film très anticommuniste dans son genre, où les fameux chemins de la liberté peuvent prendre plusieurs formes ou métaphores, que ce soit le don de soi, le dépassement physique ou le courage dans un milieu hostile. Chacun a ses raisons pour s’échapper et se découvrir soi-même, c’est aussi un film qui reconnaît l’individu en tant que personne, dans sa spécificité plutôt que dans un collectif ; film très anglo-saxon dans ce sens-là.

 

Même phénomène à la fin de « the revenant », où le personnage de Hugh Glass (Léonardo Di Caprio) se rend compte que l’idée de vengeance sur John Fitzgerald (Tom Hardy) reste vaine, seul Dieu (et les Indiens ici) peuvent se charger de cette sale besogne. Voilà le cheminement religieux et spirituel de Hugh Glass. Un véritable revenant.

 

Encore du gore et du sexe ce 21 avril avec la soirée gore nichon de l’Absurde séance à Nantes

Jeudi 21 avril pour la légendaire soirée  GORE-NICHON au programme EVIL DEAD 2, classique du cinéma d’épouvante et LAISSEZ FAIRE VOS FESSES un film rare du cinéma érotique soft-hard du cinéma allemand, soirée interdite aux moins de 16 ans.

20h15 : EVIL DEAD 2

Evil Dead 2 - la critique

Evil dead ii Banque de photographies et d'images à haute résolution - Alamy

22h15 : KASIMIR (laissez faire vos fesses)

Du gore, du sexe et de l’horreur à foison, c’est la soirée GORE NICHON. Ambiance assurée devant et sur les écrans. 

Venez nombreux, plus on est de fous, plus on crie. Réservation à partir du lundi 18 avril aux caisses du cinéma le Katorza à Nantes.

La révolution « le cahier bleu »en BD

Tout le monde connaît les BD historiques d’André Juillard,  notamment « les 7 vies de l’épervier »(Glénat, 1983-1991) ou « Plume aux vents »(Dargaud, 1995)

Plume Aux Vents Tome 2 - L'oiseau-Tonnerre   de patrick cothias  Format Album

Les 7 Vies de l'Épervier - BD, informations, cotes

Arrêtons-nous donc sur cette BD incroyable du même auteur « le cahier bleu », sortie en album en 1994 chez Casterman (Alph’Art du meilleur album à Angoulême cette même année). BD révolutionnaire, mais en quoi? BD ultra-contemporaine, très parisienne qui « casse » les codes narratifs traditionnels et les schémas de focalisation. BD avec divers points de vue et 3 personnages principaux: Louise, Victor et Armand. Chacun amenant son propre point de vue au récit et à l’intrigue.

Louise sortant de la douche:

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Armand, ce dragueur:

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En effet, un cahier bleu (en fait, un journal intime) est amené mystérieusement dans la boîte aux lettres de Louise, et on y découvre que c’est le récit de Victor qui y est narré. On s’aperçoît ainsi que Louise fut convoitée par deux hommes, tout d’abord Armand bellâtre opportuniste et sans-coeur que Louise rejettera et puis par Victor que Louise perdra car fille trop idéaliste et sensible (elle croit que Victor l’a manipulé et a joué avec son coeur…).

A quoi marche l’amour? A des rideaux oubliés dans une salle à manger, l’occasion pour Louise d’apparaître nue au sortir de la douche…et d’attirer les convoitises de garçons bien intentionnés (?) coincés dans le métro du dehors. Ces divers schémas de focalisation font bien progresser la narration, mais aussi la lecture de cette BD ; on passe ainsi à des récits narrés (avec le fameux cahier bleu), puis vécus selon la vie des personnages, ce qui permet une mise en abyme entre le lecteur et le narrateur et nous permet de mieux nous identifier aux personnages.

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BD façon ligne claire, où André Juillard, au sommet de son art, reproduit avec précision l’architecture du métro, les  monuments ou grandes rues parisiennes.

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Contrairement à Hermann (cf lien http://www.fragil.org/focus/2229), André Juillard possède un dessin apaisé qui nous montre un Paris de carte postale, ville pleine de charme et de surprise, BD aussi sur le temps qui passe (surtout vers la fin) où les personnages se retrouvent aussi solitaires qu’au début. BD alors très bobo? Elle accompagne, à cette époque en tous les cas, les récits de « monsieur Jean » de Dupuy et Berbérian ; en outre, les protagonistes de cette BD exercent des métiers très urbains, à savoir Louise, archiviste et documentaliste et surtout Victor, conservateur de musée.

JUILLARD - Le cahier bleu - Tirage numéroté et signé à 3000 exemplaires -  [...] | lot 49 | Bandes Dessinées, Albums, Planches Originales et Animation  Japonaise chez Vermot et Associés | Auction.fr

La vie quotidienne décrite dans « le cahier bleu »:

La collection de Foligatto sur 2DGalleries - Originaux de bande ...

BD très mélancolique aussi, les personnages traversent des épreuves (Victor est soupçonné, à tort,  de la mort d’Armand et fait un séjour en prison) et chacun vaquera à ses occupations vers la fin, s’enfermant dans sa propre solitude. Et ce qui fait le génie de Juillard, c’est qu’il arrive à allier un certain académisme, façon ligne claire en BD, à un renouveau narratif, développant les différents points de vue des personnages par divers plans et angles dessinés. Ses cases BD, même sans dialogues, servent à la narration de l’intrigue, imprimant ainsi l’atmosphère si particulière de l’album.

A noter, que André Juillard reprendra les personnages de Louise et de Victor dans « après la pluie »(Casterman, 1998) pour une intrigue se passant en Italie. BD qui a été aussi l’occasion de recherches universitaires, surtout de la part d’Eric Lavanchy:

  • Eric Lavanchy, Étude du Cahier Bleu d’André Juillard. Une approche narratologique de la Bande Dessinée, Bruylant, 2007 et n’oublions pas la monographie consacrée à André Juillard par Michel Jans et JF Douvry (éd.Mosquito, 1996).

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Les premiers films de Tom Cruise

Avant d’être ce gourou mondialisé de la scientologie, Tom Cruise était aussi un acteur (mais si!) et un très bon. Visualiser sa filmographie très conséquente à l’heure actuelle, c’est comprendre et apprécier une radiographie du cinéma américain des années 1980 à nos jours, que ce soit dans des  films comme « Top Gun », « Taps », « Horizons lointains » ou « Cocktail »…passant du symbole de jeune acteur plein de promesses au statut d’adulte, voire de sage au visage buriné.

:)

Charb : « Nous ne sommes pas des défenseurs acharnés du mariage tout court »

A chaque fois que Charlie Hebdo fut en rupture de stock, sa Une a porté sur l’Islam. Ainsi, derrière les polémiques de l’hebdomadaire satirique, il y avait bien un modèle économique original, un projet humain et surtout… une protection policière. Le regretté Charb nous a donné un entretien prophétique en avril 2013, où il fut question de presse satirique, de mariage pour tous, de Frigide Barjot et du monde musulman.

DV : Vous me disiez dit que Charlie-Hebdo tirait à près de 45 000 exemplaires et que vous en étiez plus ou moins satisfait…

Charb : On vend à 45 000 et on tire à 80 000 exemplaires. On n’a pas d’autres revenus que la vente aux numéros ; il n’y a pas d’investisseur extérieur, ni d’actionnaire extérieur.

DV : Ce sont les dessinateurs qui sont actionnaires…

Charb : Oui, il y a une partie des gens qui travaillent à Charlie qui sont actionnaires.

DV : Le titre a été relancé en 1992. Avec des gens comme Cabu.

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Charb : Oui, en 1992, Cabu était déjà présent dans l’ancienne formule, on a relancé le journal avec les gens de l’ancienne génération plus la nouvelle. J’ai donc fait partie de la nouvelle équipe en 1992.

DV : Je me suis penché sur la problématique des journaux satiriques (que ce soit Charlie Hebdo ou Le Canard enchaîné) en France et ce qui se dégage, c’est que c’est difficile pour tout le monde, d’avoir un équilibre financier stable. On peut le voir sur d’autres titres satiriques qui sont apparus il y a deux ou trois ans.

Charb : Oui, oui, je vois très bien. C’est difficile pour tous les journaux. Tous les journaux sont en difficulté, sauf peut-être Le Canard enchaîné.

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DV : Même L’Équipe vous voyez…

Charb : Oui, oui, tous les titres sont en difficulté et nous on s’en sort moins mal que les autres, car nous ne sommes pas une très grosse structure. De plus, on est un journal un peu à part. On occupe une niche spéciale ; il y a très peu de concurrents à Charlie Hebdo et il y a peu d’investisseurs pour mettre de l’argent dans un journal satirique. Il y a très peu de concurrents à Charlie Hebdo et il y a peu d’investisseurs pour mettre de l’argent dans un journal satirique

DV: Mais justement, est-ce que vous ne seriez pas prêt à accueillir des investisseurs, car cela peut engendrer une certaine forme de liberté ?

Charb : Si c’est du mécénat pourquoi pas, mais si c’est un investisseur qui essaie, à un moment ou un autre, d’infléchir la ligne éditoriale du journal, hors de question.

DV : À Charlie Hebdo, vous publiez beaucoup de hors série, ils marchent bien ?

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Charb : Cela participe de l’équilibre du journal. On s’en sort financièrement aussi grâce à cela.

DV: D’une certaine manière, vous êtes dans la même logique que Le Canard enchaîné ou d’autres journaux traditionnels…

Charb : Oui, on en a toujours fait.

DV : Quid d’Internet ?

https://charliehebdo.fr/

Charb : Cela nous intéresse sauf qu’il n’y a pas vraiment de modèle économique sur Internet pour des journaux comme nous. On ne vit pas de la publicité et on s’en fout du nombre de clics sur Internet pour notre site, ce n’est pas ça qui nous fait vivre.

DV: Ce que j’essaie de dire, c’est qu’un modèle comme Mediapart, ça ne vous intéresserait pas ?

https://www.offremedia.com/sites/default/files/logo-mediapart8481332-133284711.jpg

Charb : Oui, oui c’est le meilleur modèle qui existe et la meilleure formule sur Internet ; le problème étant que l’on ne peut pas garantir que les articles mis en ligne ne soient pas piratés.

DV : Votre journal peut-être viable économiquement, même sur Internet ?

Charb : C’est sûr que si on était directement sur Internet, le titre serait beaucoup plus connu et populaire.

DV : Vous avez déjà un site, où l’on peut voir le sommaire de Charlie Hebdo

Charb : Oui c’est vrai, mais cela joue d’abord sur la notoriété du journal et non pas sur les ventes globales.On ne vit pas de la publicité et on s’en fout du nombre de clics sur Internet pour notre site

DV : Vous êtes distribués partout en France ? Vous n’avez pas de problème de distribution ?

Charb : Non, on n’a pas de problème de distribution ; les seuls moments où l’on a ce type de problème c’est quand certains vendeurs de journaux refusent de vendre le journal quand par exemple, il y a des couvertures sur l’Islam et que cela fait polémique.

DV : Vous avez connu aussi des ruptures de stock ?

Charb : Oui, oui bien sûr. On a connu trois fois des ruptures de stock et ces trois fois, cela concernait des unes ayant à voir avec l’Islam.

DV : Vous n’en avez pas marre d’être devenu dans les médias le spécialiste de l’Islam et de la religion musulmane ?

https://www.youtube.com/watch?v=

Charb : Si, c’est un peu réducteur, en effet. C’est un peu pénible de n’apparaître que pour cela.

DV: Je sais aussi qu’au sein de votre rédaction, vous avez des enquêteurs et des journalistes ; en tant que journal, vous auriez pu sortir un article polémique sur l’affaire Cahuzac par exemple ?

Charb : Ça aurait été bien, mais on est d’abord un journal satirique et les enquêtes ne sont pas notre vocation première.

DV : Et si demain, vous avez connaissance d’un scandale gouvernemental ?

Charb : On le sortira, bien sûr. On avait, de toute façon, un enquêteur sur l’affaire Cahuzac et qui arrivait aux mêmes conclusions que Mediapart.

DV: De manière générale, vous et les autres dessinateurs de Charlie Hebdo, vous êtes aussi présents dans d’autres médias.

Charb : Oui je suis présent, moi-même, à « 28 min » sur Arte et sur LCI.

DV : Vous subissez déjà des formes de boycott par des groupes extrémistes, mais subissez-vous toujours des attaques sur vos serveurs informatiques ?

Charb : On est effectivement toujours attaqué, régulièrement. On est protégé par un site de sécurité et on est un peu leur laboratoire expérimental, car le site Charlie Hebdo est régulièrement attaqué depuis 2011.

DV: Vous avez fait la fête hier ? (NDLA : Interview ayant lieu au lendemain de l’adoption du mariage pour tous à l’Assemblée nationale)

https://www.youtube.com/watch?v=rLBilipYolo

Charb : Non, non, je n’ai pas fait la fête ; je me suis réjoui, oui, mais je n’ai pas fait la fête (rires).

DV : Non, je dis cela, car le mariage pour tous, c’est quand même une extension des droits humains.

Charb : Oui, oui, nous on est à fond pour.

DV : Et Charlie Hebdo a aussi vocation à développer des droits humains et une certaine forme de liberté.

Charb : Oui bien sûr, même si dans l’ensemble, nous ne sommes pas des défenseurs acharnés du mariage tout court…

DV : …Votre prochaine tête de turc, c’est Frigide Barjot ?

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Charb : Elle s’est surtout imposée à nous ; elle est présente partout et donc c’est difficile de l’ignorer. Je ne pense pas qu’elle reste très longtemps sur le devant de la scène.

DV : D’ailleurs c’est intéressant l’évolution du personnage ; elle était liée aussi à des mouvements satiriques.

Charb : Oui, oui, c’est pourquoi au début je pensais que c’était une blague et je crois que maintenant elle est complètement investie dans ce mouvement et qu’elle se prend très au sérieux. D’une part, elle n’est plus drôle et d’autre part, elle va se retrouver toute seule.

DV: Sur ce plan-là, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, car on voit la force de ces réseaux catholiques ou d’extrême droite, elle n’est pas toute seule quand même.

Charb : Si, car on constate que les radicaux catholiques ou extrémistes se démarquent d’elle. Pour eux, c’est une traîtresse et elle essaie de se démarquer du FN, car elle voit bien que cela fait polémique.

DV : Toujours dans le cadre du mariage pour tous, êtes-vous solidaire avec Caroline Fourest ?

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Charb : Oui, tout à fait ; on l’a d’ailleurs écrit dans le journal.

DV : C’est violent ce qui lui arrive et d’ailleurs, vous-même au journal, vous recevez des lettres d’insulte ou de mort par rapport à vos positions ?

Charb : Oui, on en a toujours reçu.

DV : Et même pour le mariage pour tous ?

Charb : Pas tellement sur le mariage pour tous, mais sur l’élection du nouveau Pape par exemple. Et bien sûr, on en a beaucoup reçu quand on avait fait nos couvertures sur l’Islam.

DV : À titre anecdotique, dans votre immeuble, il existe toujours un commissariat de police ?

Charb : Ce n’est pas précisément un commissariat, mais une extension de la Préfecture de police à quelques étages au-dessus de nous, qui s’occupe des amendes principalement.

DV : Vous-même, vous avez une protection rapprochée ?

Charb : Oui.

DV : Ce n’est pas trop pesant au quotidien ?

Charb: Pour ce qui est vie privée, c’est un peu chiant oui.

DV: Votre couverture de Charlie Hebdo du mercredi 24 avril était hilarante ; justement, avez-vous des retours parfois de politiques qui soit trouvent ça drôle ou sont carrément choqués ?

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Charb : Pas directement, les seuls vrais retours que j’ai eus c’est quand je faisais mes dessins à la télévision, dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel sur M6 (T’empêches tout le monde de dormir) et je me rendais compte que la plupart n’appréciaient pas du tout, j’avais souvent des retours peu aimables.

DV : Je dis cela, car vous savez bien que certains hommes politiques se targuent de lire les journaux satiriques, souvent des députés d’ailleurs sur les bancs de l’Assemblée nationale. Ils se servent même de ces médias pour faire passer leurs messages politiques.

Ces carrières politiques ébranlées par des révélations du Canard enchaîné

Charb : Oui et ils se servent parfois de ces journaux pour démontrer qu’ils ont beaucoup d’humour et des fois, certains se forcent un peu, voire beaucoup. D’autres n’apprécient pas du tout, mais pas du tout notre journal à un point parfois étonnant.

Propos recueillis par Dominique Vergnes en avril 2013.