Terrence Malick et l’Americana au cinéma.
Mine de rien lorsque l’on suit des cours de sémiologie ou d’analyse de l’image que ce soit dans le secondaire ou le supérieur, il vous en reste toujours quelque chose et pour un cinéaste (et le mot n’est pas galvaudé avec lui) comme Terrence Malick, cela reste fort utile pour bien comprendre ses thématiques de film.
https://www.youtube.com/watch?v=wjLKG8tNtOw
Ayant revu récemment « la balade sauvage »(1973), je me suis rendu compte que son univers visuel est rempli de codes et de signaux qui mettent en avant l’Americana dans toute sa splendeur, à savoir le mythe de la frontière, la nature panthéiste, les mythes fondateurs US comme ses héros (du style James Dean) ou ses bandits sans foi, ni loi. Film qui met en avant la violence intrinsèque de ce pays, violence irrationnelle ou violence des institutions (FBI, shériffs, chasseurs de primes…).
Une référence à JAMES DEAN dans « GEANT »(1956):
https://www.youtube.com/watch?v=HMe8Hbd7B0c
MARTIN SHEEN et TERRENCE MALICK:
https://www.youtube.com/watch?v=NpayP4XWJP8
Specificité du cinéma malickien? D’abord un regard très original sur le territoire américain ; une revisite des paysages américains, des légendes US (référence au mythe James Dean dans « la balade sauvage », le héros incompris, seul contre tous d’après un vrai fait divers des années 1950, où un certain Charlie Stark-Weather s’était fait la malle à travers les USA avec sa copine), à sa morale plus ou moins discutable…Terrence Malick recherche avant tout la beauté transcendantale à la fois du monde et de l’esprit (par le biais de la mythologie américaine notamment). Les personnages malickiens sont souvent des êtres marqués par leur exil (intérieur et extérieur), leur amoralisme ou déracinement prégnant (rappelant en cela l’immensité de ce pays, la prégnance de la frontière tant sur le plan physique que mental).
La nature dans « les moissons du ciel »(1978):
Et avec « la balade sauvage », on est servi question déracinement ou exil extérieur ; d’un fait-divers réel, Terrence Malick nous décrit et précise avec talent toutes les mythologies et images de l’Amérique contemporaine (la violence sourde entre les êtres, le puritanisme mal digéré, les voyages à travers les Etats…). Fait divers de la « balade sauvage » qui interroge le fait d’être américain et qui en balaie tous les symboles (les diverses classes sociales, le rôle omnipotent du père (Warren Oates) sur sa fille (personnage de Sissy Spacek), les rôles démiurgiques de la justice et du FBI aux USA…). Panthéisme du film (comme pour « les moissons du ciel » d’ailleurs) avec des paysages superbes (désert, forêt du Dakota du Sud pour « la balade sauvage » ou les champs de blé au Texas pour « les moissons du ciel »(1978)…). Les hommes et les femmes dans les films de Malick sont souvent submergés par la nature qui les environne ; cela pèse sur leurs actions et leurs errements. Influence de panthéistes romantiques américains comme Henry David Thoreau (l’équivalent US de Jean-Jacques Rousseau) ou Walt Whitman sur les films de Malick. Quête d’idéal des personnages malickiens pour une nature considérée comme vierge et encore non souillée par l’homme (c’est particulièrement vrai dans « la ligne Rouge », où l’état de guerre entre Américains et Japonais influe directement sur la nature de l’île de Guadalcanal).
Forêt du Dakota:
Le soldat et la forêt tropicale dans « la ligne Rouge »(1998):
Un panthéisme de tous les instants dans « la balade sauvage »:
Une société sous contrôle:
Et pour renforcer ces propos, Malick utilise des figures de style cinématographique comme la voix-off, une photographie très originale et des bandes-sons incroyables (Carl Off ou Erik Satie).
https://www.youtube.com/watch?v=-tEgzGnzojc
Utilisation talentueuse de la voix off aussi (en léger décalage de l’action ou des scènes pour ces 2 premiers films ; voix irréelle de Holly Sargis (Sissy Spacek) dans « la balade sauvage », voix très jeune qui rajoute au côté conte de fées de cette histoire…). Diverses figures de style donc (composition des plans très travaillés, montage rapide, mouvements de caméra à la STEADYCAM, photographie picturale…), mais aussi travail sur le jeu des acteurs basé notamment beaucoup sur l’improvisation…des moments de fulgurance aussi dans « la balade sauvage »(un peu comme chez Pialat) quand le personnage de Holly Sargis s’amuse à lire les potins de Hollywood dans un journal spécialisé (alors qu’ils sont en plein désert en voiture ; 3 moments qui font sens dans cette scène, le road-movie, le paysage désertique et les mythologies hollywoodiennes).
Les potins de Hollywood:
A partir de « la ligne rouge »(1998), Terrence Malick va encore plus dans le côté expérimental avec la multiplicité revendiquée des histoires, d’une temporalité diverse (utilisation de flashforwards et de flashbacks notamment) et une ode à la nature de tous les instants (plans contemplatifs de la forêt et de la nature sur l’île de Guadalcanal). en ce sens, ce dispositif scénique sied à la philosophie malickienne, à savoir mélanger la folie ou l’intimité des soldats avec une nature paradisiaque. Système expérimental encore plus vrai dans « Tree of life »(2011), qui nous parle de la création du monde (véritable cosmogonie) et nous fait une description élégiaque du Texas des années 1950.
TREE OF LIFE (2011):
https://www.youtube.com/watch?v=RrAz1YLh8nY
Terrence Malick tourne beaucoup plus depuis ces dernières années, mais il « embrasse » tous les styles du rêve américain, comme le Nouveau Monde, la Dépression (les « Moissons du Ciel ») ou la Seconde Guerre Mondiale pour « la ligne Rouge »…Cinéaste démiurgique reconnu par les festivals (Palme d’or 2011 pour « Tree of life », Ours d’Or à Berlin en 1998 pour « la Ligne Rouge », Prix de la mise en scène à Cannes en 1979 et Oscar de la photographie en 1978 pour « les moissons du ciel »).
Pour mieux comprendre ce cinéaste, le numéro remarquable de « SO FILM »(numéro 51) lui étant consacré et le livre d’Alexandre Mathis sur « Terrence Malick et l’Amérique »(2015).
https://www.youtube.com/watch?v=NTAzcTZTY1g
Ecrire un livre sur le cinéaste le plus secret de la planète, c’est casse-gueule non ?
Ça le serait s’il ne le faisait pas évoluer. D’ailleurs, tu me parles de style visuel, mais il y a aussi un style de narration (qu’on appelle « décentrée ») et un style sonore dans sa manière de coller les bribes de paroles, de musiques et de silences. Et jusque-là, il a toujours ajouté des pierres à son jardin. Après La balade sauvage, il intègre la récurrence du mouvement de caméra aux Moissons du ciel. Avec La ligne rouge, il adopte la voix off multiple. Pour Le nouveau monde, son nouveau chef-opérateur Lubezki (connu aussi pour avoir travaillé sur Gravity, Les fils de l’homme ou Birdman, ndlr) offre de nouvelles teintes et affirme un style d’image. Pour Tree of life, le gigantisme du film suffit à montrer encore une réelle évolution, en utilisant des images du cosmos, de la création de la vie, le tout dans un montage vertigineux. Même A la Merveille contient de grosses évolutions. Pour la première fois, la banlieue américaine devient froide et sans vie. Il pousse aussi au paroxysme sa technique de montage, à tel point qu’on a affaire à un film impressionniste, quasi expérimental. Il me rappelle les grands mélodrames des années 20 comme Ménilmontant, Autumn Fire ou les films d’Epstein. Et puis, globalement, je me fiche des éventuelles redites dans l’art. J’applique au cinéma ce que j’aime dans les autres arts, c’est-à-dire la création d’un univers en une mosaïque de créations.
Qu’as-tu découvert d’inédit ou de surprenant lors de tes recherches ?
L’aspect « conte de fée » de La balade sauvage ne m’avait pas sauté aux yeux. C’est en lisant le livre d’Ariane Gaudeaux qui est consacré à ce premier film que ça m’est apparu comme évident. Il n’y a qu’à dérouler le fil de cette idée pour comprendre toute l’ampleur de ce film culte. Mais plus globalement, travailler au long court sur une filmographie aussi restreinte m’a obligé à me concentrer sur la mise en scène, sur le concret. A un moment dans mes recherches, je m’égarais un peu trop dans les concepts et la théorie. En revoyant Tree of life, je me suis aperçu que tout était là, sous mes yeux, qu’il fallait revenir aux faits et que la théorie ne devait que servir cette démarche. Je voulais revenir aux sensations à décrypter. De toute façon, c’est comme ça que je perçois l’analyse en cinéma : mettre des mots sur des sensations. Comprendre pourquoi on rit, on pleure, on s’ennuie ou on a peur. Alors je ne nie pas qu’il y a des concepts et de la théorie, mais j’essaie de toujours l’utiliser à des fins pédagogiques. Je ne veux pas rendre Malick plus élitiste qu’il n’est déjà perçu. Au contraire, je crois que son cinéma a vocation à toucher un large public.
En quoi sa peinture de l’Amérique est-elle si singulière ?
Ce que je démontre dans le livre, c’est qu’elle n’est pas si particulière justement. Il est un héritier de la culture américaine classique. En peinture, il puise chez les luministes ; au cinéma, il est influencé par George Stevens ; son travail a des points communs avec Herman Melville, l’auteur de Moby Dick. Plus généralement, il est un héritier de ce qu’on appelle l’americana. Après, il ne faut pas nier le particularisme de son travail, aussi influencé par son vécu et par le monde européen.
Quelle est ton film préféré de Terrence Malick ?
Le nouveau monde forcément. Il revient aux origines : non seulement les origines de l’Amérique comme territoire mais aussi les bases de la morale étasunienne. Il y est question de paradis perdu, de mensonge, de trahison mais aussi d’amour fou.