Un passé qui ne passe pas: l’Histoire comme influence filmique.

Les films historiques sont légions en France, cela participe d’une tradition patrimoniale française ; mais ce qui est plus intéressant ce sont les films dont l’image, la mise en scène, l’histoire ou le scénario s’imprègnent de ce passé (qui ne passe pas le plus souvent).  Intéressons-nous à ces films qui reflètent et mettent en valeur un héritage ou un passé bien lourd, souvent facteurs de traumatismes récurrents et dont les contemporains pâtissent le plus souvent.
Mettons en avant ces films dont les protagonistes sont « englués » dans des histoires qui les dépassent, mais qu’ils devront s’en affranchir pour aller de l’avant. Un des plus fameux reste « la sentinelle »(1992) d’Arnaud Desplechin, parangon du nouveau cinéma français à l’époque, avec Noémie Lvovsky, Pascale Ferran et Emmanuel Salinger au scénario.
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Film très contemporain qui s’attaque à une histoire forte, la fin du Mur de Berlin en 1989 et ses fantômes dans la bonne société européenne et surtout française. Mathias (Emmanuel Salinger), un fils de diplomate chevronné, quitte l’Allemagne de l’Ouest pour rejoindre Paname pour des études de médecine légale qu’il suit avec assiduité (il est en 5ème année). Il se fera piéger lors du voyage en train par des gardes frontières (et par un homme mystérieux, Louis Bleicher, qui l’insulte et le « viole »verbalement, « pour moi, tu es coupable, que ce soit aujourd’hui ou demain », « alors tu t’occupes des morts, c’est bien il faut s’en occuper ») qui lui laisseront dans sa valise une tête coupée à analyser.
Le fameux Louis Bleicher (Jean-Louis Richard):
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Cahiers du cinéma n°457 : La relève : Desplechin fait la ...
Afin de corser l’affaire, il partage sur Paris son appartement avec un agent de la DGSE, William (le très physique Bruno Todeschini), dont le voisinage à terme risque d’être vraiment problématique et malheureux (c’est le moins que l’on puisse dire…).
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Film incroyable, un scénario dense et très fouillé, loupé par Bibi à sa sortie (rattrapé depuis ; vu, revu et analysé), mais très puissant dans sa mise en scène et son scénario. Ici, la fin de la Guerre Froide imprègne chacun des personnages (description au début du film de la Conférence de Yalta, de l’entente Churchill-Staline au détriment des pays d’Europe Centrale) ; la petite histoire contre la grande. Les espions de la DGSE deviennent peu à peu des ennemis, voire des menaces (tout comme l’homme, ce Louis Bleicher, qui lui a confié cette tête et qui apparaît  comme son frère vraisemblablement, mort dans un goulag russe).
Film morbide, assez noir, mais remarquable niveau mise en scène (les scènes de médecine légale sont très bien traîtées, très minutieuses). Film aussi sur une « UPPER CLASS » parisienne, les rallyes, les hauts fonctionnaires parisiens… D’une certaine manière, de candide, le Mathias en question deviendra beaucoup plus méfiant vis-à-vis de son entourage à mesure que les actions ou les coups bas se multiplient (surtout de la part de son colocataire).
Film d’une intelligence rare qui oppose avec habileté grandes structures étatiques (Quai d’Orsay, DGSE, goulags soviétiques, ambassadeurs…) aux hommes et leurs doutes (médecins, filles innocentes, les exilés russes…), les idéologies oppressantes face aux simples particuliers ; bref, un passé douloureux et qui ne passe pas du tout. Thématique reprise dans le premier moyen-métrage d’Arnaud Desplechin, « la vie des morts » qui nous narre le poids d’un suicidé sur les vivants et les membres de sa famille.
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On alterne ainsi de la raison à la folie vers la fin, tout s’enchevêtre dans ce film pour un scénario qui peut se lire à plusieurs niveaux de lecture, celui d’un étudiant débarquant sur Paris pour faire sa médecine (description passionnante de la vie des internes et des étudiants de l’époque de manière générale, début des années 1990), le réseau d’espionnage officiel lié à la DGSE, le poids des événements historiques sur le quotidien des hommes…comme le précise Mathias à la fin du film: « je pense tout le temps à des charniers » ; ainsi, au-delà de cette tête, il porte sur lui le poids des morts de la Guerre Froide et des goulags.
Autre film sur la mémoire filmique, « de l’histoire ancienne »(2000) d’Orso Miret. Film sur la mémoire, le poids des morts y est omniprésent, partis pris formels très marqués. Le film peut se résumer ainsi, un doctorant en histoire, Olivier (Stéphane Bierry), s’intéresse fortement au père Résistant de son meilleur ami Guy (Yann Goven) et obligera celui-ci à se pencher sur la vie d’un père, récemment décédé, alors qu’ils furent brouillés de leur vivant. On y parle de ce que l’on ne voit pas ou plus, la présence d’un fantôme qui semble partout et nulle part. Partis pris de mise en scène et cadrages techniques précis pour assurer le fait que les fantômes du passé sont très présents dans ce film. Le fils s’intéressera peu à peu à ce père dont la mémoire est omniprésente dans la narration du film.
De l'histoire ancienne - film 2000 - AlloCiné
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Les membres de cette famille doivent assumer un héritage qui ne passe pas (le père aurait échappé, de manière douteuse à une exécution collective pendant la Seconde Guerre Mondiale) ; le fils Guy s’enfermera dans ses névroses, tout comme sa soeur. Histoire d’un film dont les vivants se doivent d’assumer le passé des morts et qui interfère sur leur réalité. Film étonnant sur la mémoire et film jusqu’au boutiste sur le fait d’être militant communiste au quotidien (le père notamment et les non-compromissions que celles-ci engendrent et on ne rigole pas avec ça, mais alors pas du tout…). La fin du film y est terrible, le fils Guy s’enfermant dans ses délires passéistes…film grave et mémoriel (mais pas chiant).
Autre film, documentaire cette fois-ci, « l’oeil de Vichy »(1993) de Claude Chabrol se composant d’images d’archives sur le régime de Vichy ; film coup de poing avec des images d’actualité et d’archives sur le régime de Vichy de 1940 à 1944 avec Michel Bouquet en voix off. Jean-Pierre Azéma et Robert Paxton au scénario.
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Comme le déclarait Claude Chabrol à l’époque (en 1993) :

« Ce film ne montre pas la France telle que je la vois mais telle que Pétain et les vichystes ont voulu qu’on la voie. Il ne fait aucun doute que le régime de Vichy se soit trompé. Mais le but de ce film est de faire comprendre aux spectateurs que ce régime a trompé. Et les actualités cinématographiques dont je me suis servi tendent à un État menteur un piège épouvantable : les images justement. L’œil de Vichy est donc un étalage de mensonges, d’altérations de la vérité, de mauvaise foi. Il ne porte à aucun moment une accusation quelconque, car il n’en a pas besoin. »

L'Oeil de Vichy - À Lire

Documentaire terrible sur des images de propagande et ces images se suffisent à elles-mêmes. On laisse ainsi aux spectateurs se faire sa propre opinion et esprit critique.