Gros plan sur le cinéaste coréen Park Chan-Wook
A l’occasion du festival de Cannes 2016, nous pouvons constater la présence du cinéaste coréen Park Chan-Wook en sélection officielle avec son film « Mademoiselle », cinéaste dont beaucoup de critiques auraient bien vus le nom pour le palmarès final. Retour sur un cinéaste à l’univers très baroque et marqué par les thématiques de vengeance.
Après des études de philosophie, Park Chan-Wook arrive à financer ses courts-métrages à l’arrache et par des participations collectives à partir des années 1990. Son premier succès national et international fut « JSA »(2000) (Joint Security Area » sur le contentieux de frontière Corée du Sud-Corée du Nord), qui a rassemblé près de 5 millions de spectateurs en Corée du Sud…on pouvait penser, après ce film, que ce cinéaste allait se cantonner dans des films académiques ou disons aseptisés, et bien pas du tout. Nous avons eu droit à la trilogie de la vengeance, à savoir « Old Boy, Sympathy for mister Vengeance, Lady vengeance » en l’espace de 3 ans, de 2002 à 2005.
Films baroques, à l’humour incroyable, qui renouvellent les genres des films policiers et de vengeance, et surtout donnent d’autres facettes au cinéma asiatique. Loi du plus fort, violence physique et verbale exacerbée, personnages hauts en couleur, morale plus que douteuse…c’est clair, Park Chan-Wook nous montre une société coréenne à la dérive et complètement folle. Ces histoires se prêtent à ces mises en abyme du vice et de l’amoralité: soeur malade, famille éclatée, rançon demandée, prison mentale et pourtant bien réelle, meurtre d’enfant, viol assumé, loi du plus fort…voilà un des bestiaires revendiqués de Park Chan-Wook qui, ainsi, démontre que la vie sociale coréenne se pare d’une violence latente et sous-jacente sous le vernis d’une civilisation plus que millénaire.
Arrêtons-nous sur « Lady Vengeance »(2005), un des films les plus barrés que j’ai vu, sommet de sa trilogie sur la vengeance. Une femme (Lee Geum-Ja) est accusée à tort du meurtre d’un enfant, elle purgera sa peine tout en ruminant et élaborant son plan de vengeance afin de châtier le vrai coupable. Pitch assez simple mais qui en fait un film amoral au dernier degré ; en effet, la prison y est décrite comme un lieu de jungle où règne la loi des plus fortes (on est ici dans une prison de femmes), la jeune femme y joue les saintes nitouches pour mieux berner son monde et surtout sortir le plus vite possible.
Son plan de vengeance est élaboré sur plusieurs années et finement réalisé. On y retrouve des scènes cultes, comme celle de la sortie de prison, la reconstitution du meurtre (scène délirante où la jeune fille doit refaire ses faux gestes meurtriers), l’enlèvement du vrai coupable, la réunion parents-victimes dans une école primaire, la vengeance aussi de la femme du meurtrier (qui se faisait régulièrement violer). Tout cela nous décrit une société baroque complètement viciée, qui reprend aussi les codes de bienséance afin de mieux les tordre et les inverser, le meurtrier d’enfant est ainsi devenu directeur d’école primaire, un homme bien sous tout rapport. Les raffinements de torture succèdent au châtiment corporel, pour que l’héroïne devienne l’image religieuse de la vengeance (la fameuse « Lady vengeance »). La PIETA coréenne…
Le principe de féminité y est carrément bafoué face au vrai visage de la violence et de la vengeance. Le ton du film est ici blanc et rouge, comme le sang et la neige. Cependant, l’image iconique de la vengeance est atténuée (contrairement aux autres films précédents, comme « Old Boy »).par le caractère humain du personnage et le ton humoristique du film, elle se désole que sa fille ne la reconnaisse plus en tant que mère, elle fait participer ces actes de vengeance avec d’autres personnages, les parents des victimes et la femme du meurtrier. Bon, il y a donc quelque espoir vers la fin, l’héroïne peut s’en sortir grâce à l’amour de sa fille et elle se rend compte que son plan de vengeance comporte bien des difficultés morales à surmonter, chaque scène violente renvoie à la moralité du personnage. Film amoral alors? Pas tant que ça finalement…