Charb : « Nous ne sommes pas des défenseurs acharnés du mariage tout court »

A chaque fois que Charlie Hebdo fut en rupture de stock, sa Une a porté sur l’Islam. Ainsi, derrière les polémiques de l’hebdomadaire satirique, il y avait bien un modèle économique original, un projet humain et surtout… une protection policière. Le regretté Charb nous a donné un entretien prophétique en avril 2013, où il fut question de presse satirique, de mariage pour tous, de Frigide Barjot et du monde musulman.

DV : Vous me disiez dit que Charlie-Hebdo tirait à près de 45 000 exemplaires et que vous en étiez plus ou moins satisfait…

Charb : On vend à 45 000 et on tire à 80 000 exemplaires. On n’a pas d’autres revenus que la vente aux numéros ; il n’y a pas d’investisseur extérieur, ni d’actionnaire extérieur.

DV : Ce sont les dessinateurs qui sont actionnaires…

Charb : Oui, il y a une partie des gens qui travaillent à Charlie qui sont actionnaires.

DV : Le titre a été relancé en 1992. Avec des gens comme Cabu.

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Charb : Oui, en 1992, Cabu était déjà présent dans l’ancienne formule, on a relancé le journal avec les gens de l’ancienne génération plus la nouvelle. J’ai donc fait partie de la nouvelle équipe en 1992.

DV : Je me suis penché sur la problématique des journaux satiriques (que ce soit Charlie Hebdo ou Le Canard enchaîné) en France et ce qui se dégage, c’est que c’est difficile pour tout le monde, d’avoir un équilibre financier stable. On peut le voir sur d’autres titres satiriques qui sont apparus il y a deux ou trois ans.

Charb : Oui, oui, je vois très bien. C’est difficile pour tous les journaux. Tous les journaux sont en difficulté, sauf peut-être Le Canard enchaîné.

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DV : Même L’Équipe vous voyez…

Charb : Oui, oui, tous les titres sont en difficulté et nous on s’en sort moins mal que les autres, car nous ne sommes pas une très grosse structure. De plus, on est un journal un peu à part. On occupe une niche spéciale ; il y a très peu de concurrents à Charlie Hebdo et il y a peu d’investisseurs pour mettre de l’argent dans un journal satirique. Il y a très peu de concurrents à Charlie Hebdo et il y a peu d’investisseurs pour mettre de l’argent dans un journal satirique

DV: Mais justement, est-ce que vous ne seriez pas prêt à accueillir des investisseurs, car cela peut engendrer une certaine forme de liberté ?

Charb : Si c’est du mécénat pourquoi pas, mais si c’est un investisseur qui essaie, à un moment ou un autre, d’infléchir la ligne éditoriale du journal, hors de question.

DV : À Charlie Hebdo, vous publiez beaucoup de hors série, ils marchent bien ?

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Charb : Cela participe de l’équilibre du journal. On s’en sort financièrement aussi grâce à cela.

DV: D’une certaine manière, vous êtes dans la même logique que Le Canard enchaîné ou d’autres journaux traditionnels…

Charb : Oui, on en a toujours fait.

DV : Quid d’Internet ?

https://charliehebdo.fr/

Charb : Cela nous intéresse sauf qu’il n’y a pas vraiment de modèle économique sur Internet pour des journaux comme nous. On ne vit pas de la publicité et on s’en fout du nombre de clics sur Internet pour notre site, ce n’est pas ça qui nous fait vivre.

DV: Ce que j’essaie de dire, c’est qu’un modèle comme Mediapart, ça ne vous intéresserait pas ?

https://www.offremedia.com/sites/default/files/logo-mediapart8481332-133284711.jpg

Charb : Oui, oui c’est le meilleur modèle qui existe et la meilleure formule sur Internet ; le problème étant que l’on ne peut pas garantir que les articles mis en ligne ne soient pas piratés.

DV : Votre journal peut-être viable économiquement, même sur Internet ?

Charb : C’est sûr que si on était directement sur Internet, le titre serait beaucoup plus connu et populaire.

DV : Vous avez déjà un site, où l’on peut voir le sommaire de Charlie Hebdo

Charb : Oui c’est vrai, mais cela joue d’abord sur la notoriété du journal et non pas sur les ventes globales.On ne vit pas de la publicité et on s’en fout du nombre de clics sur Internet pour notre site

DV : Vous êtes distribués partout en France ? Vous n’avez pas de problème de distribution ?

Charb : Non, on n’a pas de problème de distribution ; les seuls moments où l’on a ce type de problème c’est quand certains vendeurs de journaux refusent de vendre le journal quand par exemple, il y a des couvertures sur l’Islam et que cela fait polémique.

DV : Vous avez connu aussi des ruptures de stock ?

Charb : Oui, oui bien sûr. On a connu trois fois des ruptures de stock et ces trois fois, cela concernait des unes ayant à voir avec l’Islam.

DV : Vous n’en avez pas marre d’être devenu dans les médias le spécialiste de l’Islam et de la religion musulmane ?

https://www.youtube.com/watch?v=

Charb : Si, c’est un peu réducteur, en effet. C’est un peu pénible de n’apparaître que pour cela.

DV: Je sais aussi qu’au sein de votre rédaction, vous avez des enquêteurs et des journalistes ; en tant que journal, vous auriez pu sortir un article polémique sur l’affaire Cahuzac par exemple ?

Charb : Ça aurait été bien, mais on est d’abord un journal satirique et les enquêtes ne sont pas notre vocation première.

DV : Et si demain, vous avez connaissance d’un scandale gouvernemental ?

Charb : On le sortira, bien sûr. On avait, de toute façon, un enquêteur sur l’affaire Cahuzac et qui arrivait aux mêmes conclusions que Mediapart.

DV: De manière générale, vous et les autres dessinateurs de Charlie Hebdo, vous êtes aussi présents dans d’autres médias.

Charb : Oui je suis présent, moi-même, à « 28 min » sur Arte et sur LCI.

DV : Vous subissez déjà des formes de boycott par des groupes extrémistes, mais subissez-vous toujours des attaques sur vos serveurs informatiques ?

Charb : On est effectivement toujours attaqué, régulièrement. On est protégé par un site de sécurité et on est un peu leur laboratoire expérimental, car le site Charlie Hebdo est régulièrement attaqué depuis 2011.

DV: Vous avez fait la fête hier ? (NDLA : Interview ayant lieu au lendemain de l’adoption du mariage pour tous à l’Assemblée nationale)

https://www.youtube.com/watch?v=rLBilipYolo

Charb : Non, non, je n’ai pas fait la fête ; je me suis réjoui, oui, mais je n’ai pas fait la fête (rires).

DV : Non, je dis cela, car le mariage pour tous, c’est quand même une extension des droits humains.

Charb : Oui, oui, nous on est à fond pour.

DV : Et Charlie Hebdo a aussi vocation à développer des droits humains et une certaine forme de liberté.

Charb : Oui bien sûr, même si dans l’ensemble, nous ne sommes pas des défenseurs acharnés du mariage tout court…

DV : …Votre prochaine tête de turc, c’est Frigide Barjot ?

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Charb : Elle s’est surtout imposée à nous ; elle est présente partout et donc c’est difficile de l’ignorer. Je ne pense pas qu’elle reste très longtemps sur le devant de la scène.

DV : D’ailleurs c’est intéressant l’évolution du personnage ; elle était liée aussi à des mouvements satiriques.

Charb : Oui, oui, c’est pourquoi au début je pensais que c’était une blague et je crois que maintenant elle est complètement investie dans ce mouvement et qu’elle se prend très au sérieux. D’une part, elle n’est plus drôle et d’autre part, elle va se retrouver toute seule.

DV: Sur ce plan-là, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, car on voit la force de ces réseaux catholiques ou d’extrême droite, elle n’est pas toute seule quand même.

Charb : Si, car on constate que les radicaux catholiques ou extrémistes se démarquent d’elle. Pour eux, c’est une traîtresse et elle essaie de se démarquer du FN, car elle voit bien que cela fait polémique.

DV : Toujours dans le cadre du mariage pour tous, êtes-vous solidaire avec Caroline Fourest ?

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Charb : Oui, tout à fait ; on l’a d’ailleurs écrit dans le journal.

DV : C’est violent ce qui lui arrive et d’ailleurs, vous-même au journal, vous recevez des lettres d’insulte ou de mort par rapport à vos positions ?

Charb : Oui, on en a toujours reçu.

DV : Et même pour le mariage pour tous ?

Charb : Pas tellement sur le mariage pour tous, mais sur l’élection du nouveau Pape par exemple. Et bien sûr, on en a beaucoup reçu quand on avait fait nos couvertures sur l’Islam.

DV : À titre anecdotique, dans votre immeuble, il existe toujours un commissariat de police ?

Charb : Ce n’est pas précisément un commissariat, mais une extension de la Préfecture de police à quelques étages au-dessus de nous, qui s’occupe des amendes principalement.

DV : Vous-même, vous avez une protection rapprochée ?

Charb : Oui.

DV : Ce n’est pas trop pesant au quotidien ?

Charb: Pour ce qui est vie privée, c’est un peu chiant oui.

DV: Votre couverture de Charlie Hebdo du mercredi 24 avril était hilarante ; justement, avez-vous des retours parfois de politiques qui soit trouvent ça drôle ou sont carrément choqués ?

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Charb : Pas directement, les seuls vrais retours que j’ai eus c’est quand je faisais mes dessins à la télévision, dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel sur M6 (T’empêches tout le monde de dormir) et je me rendais compte que la plupart n’appréciaient pas du tout, j’avais souvent des retours peu aimables.

DV : Je dis cela, car vous savez bien que certains hommes politiques se targuent de lire les journaux satiriques, souvent des députés d’ailleurs sur les bancs de l’Assemblée nationale. Ils se servent même de ces médias pour faire passer leurs messages politiques.

Ces carrières politiques ébranlées par des révélations du Canard enchaîné

Charb : Oui et ils se servent parfois de ces journaux pour démontrer qu’ils ont beaucoup d’humour et des fois, certains se forcent un peu, voire beaucoup. D’autres n’apprécient pas du tout, mais pas du tout notre journal à un point parfois étonnant.

Propos recueillis par Dominique Vergnes en avril 2013.

Entretien avec Patrick Gyger

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Nantes, seconde capitale culturelle française? En tous les cas, elle s’en rapproche petit-à-petit  avec des salles de spectacle ou lieux culturels comme « l’Olympic », « La Fabrique » ou même « le voyage à Nantes ». Rencontre donc avec Patrick Gyger, directeur du Lieu Unique depuis 2011, un des hauts lieux du monde culturel nantais. 

Patrick Gyger, grand connaisseur de l’artiste suisse HR Giger, personnage à la confluence du protopunk, du design, du graphisme ou de l’illustration cinéma. HR Giger dont  un hommage appuyé fut rendu au festival des Utopiales 2014, avec un documentaire retraçant sa brillante carrière et une rediffusion du premier « Alien ».

Le Lieu Unique : l'incontournable nantais - Guide de voyage Nantes

https://www.youtube.com/watch?v=cL5aAtL6Tok

Comme vous le déclariez aux Utopiales, H.R. Giger, en tant qu’artiste suisse, dérangeait profondément, surtout dans son pays d’origine ; pourquoi selon vous ?

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Épinglé sur HR Giger

Je pense que c’est en premier lieu lié aux thèmes abordés par HR Giger et sa manière de les interpréter: érotisme ésotérique, occultisme déviant, ironie macabre, abysses citadines, altérités tentatrices, noirceurs éclairantes… Ce ne sont évidemment pas les sujets les plus simples à accepter pour un milieu d’art contemporain, non pas tant pour leur nature sensée être choquante (pour le grand public, peut-être, et encore c’est discutable), que par leur réappropriation de certains sujets de culture « underground », de Lovecraft à Aleister Crowley, par l’intérêt de HR Giger pour des formes peu connues de culture « populaire ». C’est d’ailleurs ce qui le fait être adopté rapidement par un large public en-dehors des milieux d’art plastique (musique, etc.). Les milieux de l’art contemporain, auxquels il est lié un temps (il a beaucoup vendu en galerie et à des musées dans les années 1970), se détourneront donc de lui, surtout lorsqu’il commence à avoir une visibilité importante, entre le succès de ses publications et son Oscar à Hollywood… C’est toute l’ambiguïté de l’oeuvre de cet artiste: il a été accepté par une large frange du public malgré des oeuvres réputées « offensantes » parfois et un certain dedain d’une partie de l’intelligentsia.

Quelles sont les pressions et critiques que vous avez subies pendant la période d’exposition de cet auteur pourtant suisse dans votre « Maison d’ailleurs »? Et que retenez-vous du personnage et de l’artiste suisse H.R Giger ?

C’est en 1995, avant mon arrivée à la Maison d’Ailleurs, que s’est tenue une exposition Giger. C’est plutôt l’image de l’exposition qui a été mal reçue, et non l’exposition elle-même. L’affiche, reproduisant l’un des « Baphomet » a été vue par ceux qui ne connaissent pas l’oeuvre. Hors contexte, certaines réactions ont été assez vives apparemment, et une statue devant le musée était régulièrement recouverte d’inscriptions dénonçant l’artiste… Tout ceci n’a pas aidé un musée qui a l’époque cherchait sa place dans la petite ville d’Yverdon-les-Bains. Lorsque j’étais au musée, il y avait une petite salle permanente dédiée à Giger, mais il a ensuite récupéré ses oeuvres à l’ouverture de son propre musée à Gruyères.

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Quant à HR Giger lui-même, c’était un homme gentil, introverti et rêveur. Il m’a toujours accueilli avec chaleur chez lui, et il était connu pour sa générosité. Sans doute était-il loin de l’image que peuvent se faire ceux qui l’imaginent à travers son oeuvre. Quant à l’artiste, sa place dans l’histoire de l’art reste encore largement à écrire, mais elle me paraît centrale, entre art visionnaire, réalisme fantastique et proto cyberpunk…

D’après vous, faire connaître et exposer de la SF, est-ce facile? Avez-vous rencontré avant tout incompréhensions ou hostilités? Que ce soit pour votre période suisse ou même aux Utopiales à Nantes…

https://www.youtube.com/watch?v=0M_MzcFm5rI

Faire connaître ou exposer la SF est devenu beaucoup plus facile depuis quelques années, maintenant que la culture « geek » a droit de cité à peu près partout (pour des raisons qu’il est un peu long à analyser ici). Pour moi qui ai été nourri à Lovecraft, Howard ou Silverberg, il était inconcevable il y a 20 ans que les séries les plus vues soient Games of Thrones ou The Walking Dead, et que les films de super-héros ou Le Hobbit soient au top du box office. Donc, si on expose Star Wars aujourd’hui, on est en territoire de connaissance et il n’y a pas grand risque; il n’y a pas non plus à mon sens grand intérêt à le faire. Une nouvelle fois, ce serait confondre la SF et l’image de la SF. Le domaine de la « conjecture romanesque rationnelle », comme l’a défini Pierre Versins, fondateur de la Maison d’Ailleurs, pousse à l’exploration permanente, à la remise en question des paradigmes en place, à la redéfinition de ce qui est acceptable, de bon goût, ou de l’accessible au plus grand nombre – ce qu’a pu faire HR Giger. Quand on s’engage dans ces voies-là, on peut se heurter parfois à l’incompréhension, mais c’est le rôle des institutions culturelles que d’amener le public vers des formes artistiques complexes; sinon, autant organiser des expositions dans les centres commerciaux. Au lieu unique, nous tentons d’être au plus proche des questions conjecturales et tentons d’interroger le monde qui nous entoure par l’extrapolation poétique, tout en gardant un pied dans le politique. Cette perspective est parfois considérée comme « difficile » mais nous faisons de sorte de ne jamais être excluants.

Comme pour Gilles Ciment, en tant que directeur de musée, vous avez dû concilier impératifs administratifs et aspects créatifs, ce fut un rude combat pour imposer vos choix ?

La Maison d'Ailleurs réunit à Yverdon-les-Bains des "MONDES imPARFAITS".  Attention aux utopies! - Bilan

Lorsque je suis devenu directeur de la Maison d’Ailleurs en 1999, le musée était fermé et n’avait plus de direction depuis trois ans. Le chantier était imposant, et il a beaucoup fallu reconstruire: l’adhésion locale, les collections, une crédibilité artistique, les partenariats scientifiques, la présence internationale. Plus que cette dichotomie administration/création, il y a ce travail de fond, souvent invisible, qui dépasse largement le fait de réaliser des expositions. Mais entre les projets avec l’Agence Spatiale Européenne, l’augmentation substantielle des collections (avec de nouveaux lieux de stockage), l’ouverture de l’Espace Jules Verne, des propositions poétiques (comme l’envoi d’un manuscrit de Verne dans l’espace, ou la rétrospective Ken Rinaldo), la rénovation quasi intégrale du musée, et la pose de principaux jalons pour une exposition permanente, le combat a plutôt pris la forme d’une course d’endurance, puisque stabiliser le musée a pris une bonne décennie.

D’après la conférence sur la naissance des Utopiales (cf lien ttps://www.youtube.com/watch?v=Ehr2D_OEvhw), être directeur artistique de ce festival ne fut pas un long fleuve tranquille. Que retenez-vous de cette expérience ?

Le projet du festival est né à Poitiers en 1998 et a été « importé » à Nantes en 2000, avec tous les problèmes qui se sont posés en lien à cet enracinement dans un terreau local pas toujours réceptif. Le nombre de partenaires (libraires, Ville, Cité des Congrès,…) était important et tous ne souhaitent pas la même chose, entre un festival de prestige, une manifestation internationale, une convention de fans… Et le fondateur du festival Bruno della Chiesa a décidé de passer la main dès 2001. Il a donc fallu faire un numéro de jonglage assez épuisant entre tout ce petit monde – avec un milieu de la SF française qui voyait un festival grand public avec suspicion, comme si nous les dépossédions de leur spécificité. Je retiens du festival des prises de risques parfois payantes, un jeu d’équilibrisme entre faire venir du public et être exigeant, de belles incompréhensions (faire découvrir un groupe expérimental allemand à Terry Pratchett était assez drôle), des films décalés (j’y ai découvert le magistral Eugène Green), et surtout des auteurs incroyables. Après quelques éditions j’avais vu tous ceux que je souhaitais rencontrer dans le domaine ou presque: Moorcock, Shepard, Spinrad, Jeter, Delany, Silverberg, Léourier, Ligny… et beaucoup d’autres.

Norman Spinrad:

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MOORCOCK:

La Légende de Hawkmoon" de Michael Moorcock - Le Capharnaüm Éclairé

Gilles Ciment, dans un entretien à BDBest, déclarait qu’être directeur de musée, c’est être à la fois libraire, directeur de cinéma, représentant international, collectionneur, archiviste, gestionnaire…tout ces divers métiers, vous les avez effectivement exercés ? Ou appris sur le tas ?

http://www.bd-best.com/entretien-avec-gilles-ciment-ancien-directeur-du-cibd-d-angouleme-news-7443.html

Il faut être un peu tout ça en effet, mais pour le bien d’une institution. J’ai été collectionneur et j’ai cessé de l’être en devenant directeur de musée, ça me paraissait incompatible. J’ai donc gardé cette « fièvre » pour le lieu que je dirigeais. J’ai également été libraire un temps, au siècle passé… Les questions d’archives, de muséologie, d’exposition, c’est mon parcours universitaire qui m’y a confrontées. Pour le reste, j’avais l’avantage de la jeunesse, donc je m’y suis plongé sans y penser à deux fois.

L’exemple de Gilles Ciment nous montre qu’en tant qu’ancien directeur le CIBD à Angoulême, vous devez vous entendre ou avoir l’obligation de bien coopérer avec le pouvoir politique local. Ce fut le cas pour vos postes précédents, en Suisse notamment? Ou même actuellement au LU à Nantes ?

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C’est évidement essentiel. Mais il me semble c’est plus important encore en France qu’en Suisse. En Suisse, le système politique entretien une forme de consensus qui ne lie pas vraiment les institutions à un parti ou à un maire, par exemple. Les politiques culturelles (quand elles existent) sont modérées. En France, une alternance politique signifie beaucoup plus souvent une alternance à la tête de certaines institutions phares. Quoi qu’il en soit, il s’agit pour moi de coopérer avec le pouvoir politique local, car je pense que les institutions culturelles sont également au service des populations et des artistes locaux. De plus, si nous travaillons avec les politiques et les autres acteurs culturels de la région, l’impact de nos actions s’en trouve évidemment renforcé. Evidemment, il ne s’agit pas de tomber dans la servilité, mais de garder son indépendance de programmation, de ton, etc. Mais je n’ai jamais été inquiété de ce côté-là. Et enfin, au-delà du travail au niveau local, il faut évidemment tisser un vaste réseau international…

En tant que directeur d’un lieu culturel, vous avez apporté votre soutien aux intermittents du spectacle afin de sauver leur régime d’indemnisation chômage, voyez-vous un lien entre les combats du SNAC-BD, des dessinateurs BD et ceux des intermittents du spectacle? En gros, sauver la culture française…
https://www.youtube.com/watch?v=ftwXvWShZMg

Plus que la culture française dans son ensemble (dont le « sauvetage » ou non est un vaste et complexe terrain sur lequel je ne m’aventurerais pas ici), il s’agit ici de reconnaître un statut spécifique à la profession d’artiste et de la préservation du régime de l’intermittence. Ce sont donc des combats parallèles mais essentiels, qui ont pour but de soutenir ceux qui sont les véritables créateurs du domaine culturel. Les éditeurs, les institutions, les théâtres, les musées… ne viennent que loin dans la chaîne qui relie artistes et public. Mais sans les créateurs, rien n’est possible.

Vous êtes actuellement directeur du LU à la place Jean Blaise depuis 2011 ; Jean Blaise dont la gestion culturelle, financière du « Voyage à Nantes » fut sujet à polémique lors des dernières élections municipales à Nantes, surtout par les candidats de l’opposition. Subissez-vous le même genre de critiques ou d’attaques dans l’organisation du LU ?

https://www.youtube.com/watch?v=1vTaSzxNjiM

Jean Blaise - Babelio

J’en suis préservé jusqu’à présent, il me semble. En 2011, il y a eu un rapport de la Chambre Régionale des Comptes mais il n’a pas relevé de problèmes majeurs et il s’intéresse à la période avant mon arrivée. Le problème principal aujourd’hui c’est la tyrannie du « populaire »; certains jugent la réussite des projets au nombre de personnes qui s’y intéressent. C’est non seulement erroné mais également dangereux. (Je suis intervenu à ce propos ici: http://www.ouest-france.fr/entretien-patrick-gyger-et-la-belle-energie-du-lieu-unique-3056531). Mais cette question ne touche pas spécifiquement le lieu unique, mais l’ensemble des acteurs culturels en France, et au-delà.

Liens sur des conférences des Utopiales 2014 à Nantes, pour visualiser Patrick Gyger et ainsi comprendre HR GIGER, mais aussi les Utopiales  : https://www.youtube.com/watch?v=Ehr2D_OEvhw et https://www.youtube.com/watch?v=w2WJfpGotI4

Rencontre avec Pierre Carles, le trublion des médias

Rencontre avec Pierre Carles (en mai 2014), franc-tireur du journalisme depuis les années 1990 et dont l’actualité nous rappelle son rôle de « poil à gratter »médiatique, avec la défense de positions journalistiques radicales fàce aux grands groupes de communication français ou internationaux.  Rappel du parcours étonnant de ce journaliste et documentariste indépendant, développant sens de l’absurde, happenings médiatiques et mise en scène frontale audiovisuelle dans ses sujets. Originalité des positions qui se retrouvent aussi bien dans le choix de ses documentaires que dans les procédés de production ; volontés de résistance dans les thèmes abordés mêlant sujet altermondialiste, choix de vie et personnalités politiques internationales. Le tout formant une oeuvre documentariste et de production unique en France, et dont d’autres sites audiovisuels ont copié le modèle. Entretien avec un résistant assumé de « la société du spectacle » qui a su se faire une place à part dans le monde médiatique français.

DV: Vous connaissez bien Nantes?

Pierre Carles: Oui, un peu. Je suis venu il y a 3 ans au cinéma Bonne Garde pour une rétrospective de mon travail. J’avais passé 3-4 jours à Nantes et j’en garde un très bon souvenir. La famille Clochard, qui tient le cinéma de quartier le Concorde, a toujours défendu mes films. J’ai aussi un peu suivi les dernières manifestations contre le projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes. Certaines personnes s’étaient déguisées en légumes, en patate notamment, et déambulaient Place du Commerce au milieu des manifestants cagoulés qui résistaient aux CRS. On ne voit pas trop ça ailleurs.

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Les débuts dans la carrière journalistique

DV: Au début de votre carrière, vous avez commencé à « L’Assiette anglaise » avec feu Bernard Rapp, où vous jouiez un peu le rôle de journaliste-trublion.

PC: J’y faisais des détournements d’images et des reportages plutôt loufoques sur des événements médiatiques ou surmédiatisés. On a été, me semble t-il, des précurseurs sur ce créneau-là.

DV: Certains reportages tiennent encore le coup, comme le voyage de Mitterrand à Solutré.

https://www.pierrecarles.org/Mitterand-et-les-journalistes-a

PC: C’était tabou à l’époque, lorsqu’on suivait François Mitterrand lors de son ascension annuelle de la roche de Solutré, d’enregistrer quoi que ce soit en audio ou en vidéo. Gravitait autour de Mitterrand toute une cour de journalistes et il n’était pas question de transgresser la sacro-sainte règle du « off the record». Mitterrand pouvait engueuler des journalistes ou en flatter certains, c’était le monarque parlant à ses sujets, à ses subordonnés. De manière générale, ces journalistes politiques  étaient fascinés par Mitterrand et perdaient tout esprit critique si tant est qu’ils en avaient. On a retrouvé cela plus tard avec Chirac, Sarkozy, DSK et maintenant Manuel Valls : une fascination pour le pouvoir, que ce soit le pouvoir politique ou économique.

https://www.dailymotion.com/video/x35n5oq

Dans une autre émission de Bernard Rapp à laquelle j’ai collaboré – « Tranche de cake » – je m’amusais à filmer  les intérieurs des domiciles de personnalités invitées sur le plateau de l’émission. Le fabriquant de best sellers Paul-Loup Sulitzer avait très mal pris le fait que je livre à l’antenne le code du système de sécurité de son grand appartement bourgeois qui donnait sur les jardins de Matignon. Il pensait qu’on allait le cambrioler après ce reportage (rires). Bernard Rapp s’est toujours bien comporté avec moi. Avec, les producteurs de « Strip-tease », c’est l’un des rares hommes de TV à m’avoir protégé.

DV: Vous avez aussi travaillé quelque temps à « Canal plus »?

PC: Oui, ça n’a pas duré longtemps. Juste le temps qu’ils censurent un reportage qu’ils m’avaient commandé  (rires). Alain De Greef, le directeur des programmes de l’époque, n’avait pas apprécié « Pas vu à la télé », mon enquête pour « La Journée de la télé » sur la proximité entre certains hommes politiques et responsables de l’information. Il l’a purement et simplement censuré. Lui et son acolyte Pierre Lescure, qui dirige aujourd’hui le festival de Cannes, claironnaient à l’époque que leur chaîne était la plus libre, la plus impertinente.  Canal + continue aujourd’hui d’entretenir cette illusion. C’est du pipeau, bien entendu.

DV: Actuellement, vous habitez dans l’Hérault?

PC: Oui, prés de Montpellier. Je ne suis pas mécontent d’avoir quitté « le marigot » audiovisuel parisien et d’être retourné en province.  A Montpellier, on peut louer des locaux moins chers qu’à Paris, par exemple pour y installer une société de production. Des amis et des techniciens ayant participé à l’aventure de mon premier film « Pas vu pas pris », ou producteurs indépendants, comme Annie Gonzalez et Geneviève Houssay, ont créé C-P Productions en 1998. Quelques années plus tôt, j’avais tourné un documentaire à Montpellier sur Jacques Blanc, à l’époque président du conseil régional de Languedoc-Roussillon. Un drôle de personnage, hyperactif, un véritable drogué de la politique. C’était mon premier contact avec la région. Et C-P Productions est venu s’installer ici au début des années 2000.

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Jacques Blanc

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Le conseil régional de Languedoc-Roussillon à Montpellier

DV: Et vous êtes sur quoi actuellement?

PC: Je réalise un reportage sur l’omerta de la presse audiovisuelle française à propos de la politique économique et sociale du président équatorien Rafael Correa.  Ça s’appelle « Les ânes ont soif ».  Correa est venu en visite officielle en France en novembre 2013 et personne n’a eu l’idée de l’inviter. Les seuls journaux français qui ont couvert sa venue à l’université de la Sorbonne où il a donné une grande conférence sont « le Monde diplomatique » et… « Le Figaro ». Le journaliste du « Figaro » a raconté à Aurore Van Opstal, qui a fait la plupart des interviews, qu’il était obligé de parler de Rafael Correa en raison de ses incroyables performances économiques. Le taux de chômage de l’Equateur est en effet de 4 % et la dette publique du pays représente aujourd’hui moins de 25 % du PIB, des chiffres meilleurs que l’Allemagne. Pourquoi les Yves Calvi, David Pujadas, Christophe Barbier, Claire Chazal, Laurent Delahousse et cie n’ont pas proposé à Rafael Correa d’expliquer sur leur plateau ses recettes anti-crise ? Probablement parce que ça ne correspondait pas avec le discours pro-austérité et anti-étatiste ambiant…

Autre video que je viens de tourner, avec Nina Faure et Brice Gravelle cette fois-ci : la journée du livre politique à l’Assemblée Nationale en février dernier. A cette occasion, nous avons interpellé Frédéric Mitterrand, Christophe Hondelatte et d’autres journalistes vedettes. On leur a demandé quel était le journal français le plus influent à l’étranger, celui qui avait le plus grand nombre d’éditions étrangères, en nous faisant passer pour un organisme de promotion de la presse française à l’étranger. Nos interlocuteurs ont été surpris d’apprendre que « le Monde diplomatique » était la publication française disposant de plus d’éditions étrangères. Ils se sont retrouvés à faire la publicité pour ce journal à l’insu de leur plein gré (rires). La plupart d’entre eux ce sont prêtés au jeu, alors que normalement, ils détestent ce journal et les idées qu’il véhicule, trop à gauche pour eux.

DV: Vous n’êtes pas à votre coup d’essai de « poil à gratter » journalistique.

PC: Non, ce n’est pas la première fois. Lors du tournage de  « Fin de concession », nous avions repeint en doré le scooter David Pujadas. Il s’agissait de rendre clair le fait que Pujadas se comportait en laquais du pouvoir, notamment lorsqu’il sefait convoquer par Nicolas Sarkozy au palais de l’Elysée pour une interview cire-pompes. Il devrait assumer publiquement ce rôle de laquais du pouvoir et, par conséquent, rouler sur un scooter doré. Il n’y avait rien de gratuit dans cette action, ce n’était pas un happening à la « Rémi Gaillard ». Il s’agissait, par le biais de cette imposture, de rendre visible l’engagement politique de ce journaliste qui se prétend neutre d’une point de vue politique. Maintenant, dans ce registre-là, certains sont allés beaucoup beaucoup plus loin que nous, je pense notamment aux « Yes Men ».

Un ostracisme revendiqué

DV: Et donc vous êtes ostracisé au niveau des médias,  même sur les émissions consacrées aux médias?

PC: Parce que je ne respecte pas les règles non-dites du système. Un journaliste spécialisé dans la critique des médias comme Daniel Schneidermann passe, lui, dans les émissions de télé ou de radio, notamment sur Canal +, parce qu’il respecte la loi du milieu audiovisuel, notamment celle qui consiste à ne pas trop critiquer la puissance invitante ou au moins à se fixer des limites en matière de critique de l’émission qui vous invite. Alors qu’en ce qui me concerne, je ne me sens pas tenu par ces règles tacites. Les gens de télévision sentent probablement cela. Autre chose qu’il faut respecter à la télé : ne pas utiliser de moyens non-orthodoxes, de caméras cachés, de systèmes d’enregistrement de conversations avec les puissants. Si l’on fait cela, c’est plutôt à l’encontre des « petits » ou des « moyens », pas des « gros ». Ceux qui se disent libres, indépendants et impertinents comme « Le petit Journal » de Canal Plus le savent parfaitement. Ils respectent ces règles-là. Ils ont toujours épargné Michel Denisot, l’animateur du « Grand journal », l’émission phare de la chaîne.  Ils n’ont jamais montré que Michel Denisot avait fait de la pub pour la candidature DSK puis pour celle de Hollande, tout en ménageant Sarkozy et même Marine Le Pen, ou bien  que le rédacteur en chef de son émission avait réalisé un publi-reportage pro-DSK honteux avant l’affaire du Sofitel. Et les vrais candidats de gauche, eux, ont été ignorés ou méprisés par Apathie, Denisot et son équipe. Yann Barthès et  son « Petit journal » se sont bien gardés de raconter tout cela. Ça serait intéressant aussi qu’ils indiquent au spectateur leurs salaires astronomiques. Ils risqueraient de se  prendre des tomates dans la figure ou se retrouver enduits de plumes et de goudron, ils ont donc raison de ne pas le faire. Nous, en revanche, nous ne respectons rien, nous ne fixons pas de limites et… pouvons donner nos salaires, proches du SMIC quand ce n’est pas en dessous.

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Yann Barthes et le Petit Journal

Dans « Fin de concession », nous nous sommes amusés à rendre visite au directeur du « Figaro » Etienne Mougeotte déguisés en journalistes uruguayens (le fameux « Pedro Carlos », NDLR). Et Mougeotte l’a cru ! Cela montre l’égo de ces journalistes-vedettes. Ils pensent qu’ils sont célèbres, y compris en Amérique Latine où personne bien entendu ne les connait. On peut les piéger avec des ruses aussi minables que celle-là.

De manière plus générale, nous agissons en « kamikaze », en nous en fichant de nous griller avec tous ces grands médias. Passer à la télévision ou à la radio nous importe peu. Ce système médiatique est une des composantes essentielle du système capitaliste que nous combattons. Il faut forcer ces grands médias à révéler leur véritable nature, dévoiler leur fonction première : faire en sorte que rien ne change, perpétuer l’ordre établi, maintenir les relations de dominations dans nos sociétés…

DV: Vous n’êtes plus présent sur les médias dominants, mais vous donnez toujours des interviews pour des blogs ou sites internet…

PC: Oui, je m’exprime plutôt chez les « petits ». Mais mon moyen d’expression, c’est d’abord et avant tout la réalisation de films. Et même si ceux-ci ne passent pas à la télé, il existe toujours un réseau de salles de cinéma indépendantes susceptibles d’accueillir mes réalisations comme « le Concorde » à Nantes, « Le Diagonal » à Montpellier, les Utopia à Avignon, Bordeaux ou Toulouse… En quinze ans, j’ai eu le temps de faire le tour des salles « Art et essai ». Le problème, c’est que tout une partie du public ignore ces lieux : les jeunes, les classes populaires…  Le public de ces salles est plutôt un public de retraités ou de profs lisant « Télérama », des gens comme ça, vous voyez.

Les films du Funambule | Diffusion de courts métrages et documentaires,  soutien à la création et à la production

DV: Certaines personnes ou journalistes considèrent que vous prenez trop la pose de martyr médiatique.

PC: Si vous le dites… Mais je ne crois pas que ce soit le cas. J’ai été objectivement confronté à des actes de censure sur toutes les chaînes ou presque. Dès que l’on exerce le métier de réalisateur de de manière indépendante à la télévision, on est confronté à des réactions brutales. Etienne Mougeotte, l’ancien n° 2 de TF1, m’a traité de « petit merdeux » du  temps de l’émission « Ciel mon mardi ». En même temps, c’est souvent un honneur de se faire traiter de « merdeux » par ces gens-là pour lesquels je n’ai aucune estime, de se faire menacer d’un procès par des gens comme Jean-Michel Apathie, Laurent Joffrin ou Renaud Dély au moment du tournage de « Hollande, DSK, etc. ». Parfois, on va un peu les provoquer un ces responsables de l’information, on cherche à les pousser au procès. Ce fut le cas avec Pujadas et son scooter : on aurait bien voulu aller devant un tribunal expliquer pourquoi, de notre point de vue, le présentateur du JT de 20h00 de France 2 était un laquais du pouvoir. Mais il a senti le piège et n’a pas porté plainte contre nous.

Sur les documentaires

DV: Vous avez réalisé divers documentaires, comment les classeriez-vous?

Ni Vieux Ni Traîtres - [Librairie Publico, spécialisée en livres ...

PC: Certaines personnes considèrent que l’un de mes meilleurs documentaires serait « ni Vieux, ni traîtres », coréalisé avec Georges Minangoy, sur le groupe de lutte armé Action Directe ». Or quand je le revois aujourd’hui,  je suis catastrophé : je ne vois que les défauts, les séquences qui manquent, les erreurs historiques…

Je suis plutôt critique à l’égard de mon boulot mais même avec leurs faiblesses ces documentaires ont le mérite d’apporter un autre son de cloche que le discours ambiant, me semble t-il.

DV: Un de vos reportages les plus radicaux, c’est celui sur « Attention danger travail », voilà un vrai documentaire « alter ».

Attention danger travail - film 2003 - AlloCiné

PC: Avec Christophe Coello et Stéphane Goxe, nous avont été parmi les premiers à interviewer des « déserteurs du marché du travail », des personnes habituellement invisibles dans les granss médias. Le documentaire a surpris les spectateurs, car on se demandait d’où  sortaient ces gens-là. C’est sûr que ce ne sont pas les chaînes de télévision qui vont raconter ce genre de choses. Pour elles, il est impensable qu’un chômeur ne puisse pas accepter n’importe quel boulot pour pouvoir consommer et ainsi trouver les moyens d’être heureux. Car c’est cela le discours dominant :  le bonheur passe par la consommation ou la surconsommation et donc le travail salarié, quel que soit sa nature. C’est sûr que l’on est dans une société où la valeur travail est très importante, est centrale même, mais on devrait admettre aussi que certains ne veuillent pas adhérer à ce système de valeur. Notre boulot, c’est de donner la parole à ces minoritaires, à ces hérétiques, à ces irrécupérables…

DV: Lequel de vos documentaires a le plus marché en terme d’entrées?

PC: « Pas vu, pas pris » qui a fait près de 170 000 entrées. Le deuxième en terme d’entrées c’est « La sociologie est un sport de combat » avec 100 000 entrées, un score remarquable pour un documentaire plutôt austère, pas très rigolo. Le troisième c’est « Attention danger travail » avec 75 000 entrées.

DV: Avez-vous fait des progrès sur le plan réalisation?

PC: Oui, je crois, en terme de montage notamment, ou même sur le plan narratif. Entre « Pas vu, pas pris » (1998) et « Fin de concession » (2010), il y a un sacrée différence. « Fin de concession » était plus désenchanté, moins jubilatoire  que « Pas vu, pas pris » mais beaucoup plus intéressant du point de vue de la réalisation, plus «  expérimental », disons. Le scénario initial a pris des directions inattendues et en raison de la manière dont la productrice Annie  Gonzalez conçoit la production d’un film. Nous avons pu intégrer certaines péripéties de tournage alors que ce n’était pas prévu initialement. C’est le cas par exemple de la séquence avec Jean-Marie Cavada où ce dernier arrive à retourner à son profit l’entretien dont il aurait dû sortir ridiculisé. Avec Bernard Sasia, l’un des monteurs, et Annie Gonzalez, on a regardé les rushes et on s’est dit que ce serait intéressant que mon personnage incarne plutôt l’échec ou le doute dans ce film. Il finit par se poser un certain nombre de questions sur l’efficacité de son travail de contestataire et sur les limites de l’action individuelle, ce qui ne m’empêche pas de repartir à l’attaque mais à plusieurs cette fois-ci. Ce « Carlos Pedro » montrait une certaine impuissance alors qu’au même moment des millions de  personnes défilaient dans la rue contre la réforme des retraites sans rien obtenir du gouvernement. La « fiction » rejoignait d’une certaine manière la réalité. Mais on ne peut faire cela qu’à condition de s’inscrire dans une démarche artisanale, ce qui exclue de travailler pour la télévision qui privilégie, elle, des scénarios pré-établis.

DV: Vous avez des retours par rapport à vos documentaires?

PC: Vous voulez parler des gens à qui l’on s’en prend ? L’avocat de Charles Villeneuve nous avait interdit d’utiliser des images de son client dans « Fin de concession ». On a filmé le moment où l’on lisait cette lettre d’avocat, un courrier qui nous faisait plutôt rire, et on a gardé cette séquence dans le film. C’était une manière de leur dire « même pas peur ! ». En revanche, ces gens de télévision doivent avoir, eux, un peu peur de nos films puisqu’aucun d’entre eux n’est passé sur le petit écran en France. Sept longs-métrages sortis en salles non diffusés à la télévision, c’est un cas unique je crois ces dernières années.

DV: Et avec « Choron dernière », vous vous attaquez frontalement à Philippe Val.

PC : Philippe Val, on s’est vite aperçu que c’était quelqu’un d’autoritaire et sûrement pas de libertaire, à l’inverse de ce qu’il faisait croire jusque là, notamment dans le duo Font & Val. C’était quelqu’un qui ne supportait pas la contradiction en tant que rédacteur en chef de « Charlie ». Il était aussi grandiloquent et pontifiant que BHL, un personnage aurait été la risée du « Charlie hebdo » 1ère période, celui des fondateurs. Bref, il avait trahi l’esprit «  Charlie hebdo » en y introduisant un discours de curé insupportable, tout le préchi précha que l’on retrouve chez les socialistes de droite actuellement au pouvoir. Ce documentaire réalisé avec Eric Martin se voulait d’abord un hommage au professeur Choron. Il montrait la grandeur et le panache de Choron, y compris vers la fin de sa vie, face à la petitesse des dirigeants du nouveau « Charlie-Hebdo ». A l’époque de  Choron et Cavanna, les rédacteurs et les dessinateurs de « Charlie-Hebdo » ne s’auto-censuraient pas. Choron leur disait  « allez-y, foncez, ne vous bridez pas, je vous couvre en cas de procès ». C’est pour cela que Choron a fini ruiné à la fin de sa vie.

DV: Dans « Les nouveaux chiens de garde », le documentaire montre comme vous les relations incestueuses entre journalistes et hommes de pouvoir, comme pour le « dîner du Siècle ».

Les nouveaux chiens de garde - YouTube

PC: Ils ont tourné avant nous mais leur film est sorti après le nôtre. Dans « Fin de concession », nous manifestions devant le « dîner du Siècle » pour que les journalistes « retenus en otage »  soient relâchés. D’où les slogans comme « Libérez Arlette Chabot ! ». On essayait de faire passer l’idée que les journalistes qui fréquentaient le « dîner du Siècle », les Pujadas, Field, Chain et cie, avait été contaminés par les idées néo-libérales omniprésentes dans ce cercle, avaient subi un lavage de cerveau, et il fallait les empêcher de propager ces idées néfastes à l’ensemble de la population française. Voilà pourquoi nous voulions les empêcher d’entrer, les « libérer ». Pour les aider, pour les décontaminer. Inutile de vous dire que ça ne les faisait pas rire du tout. Ils nous ont d’ailleurs envoyé les CRS et ça a failli mal se terminer.

DV: Dans « Fin de concession », vous revenez sur les conditions de la privatisation de TF1 en 1987. Certaines images font froid dans le dos à postériori.

PC: En 2010, Arnaud Montebourg présentait comme une grave erreur cette privatisation de la 1° chaîne française. On va voir si, à présent qu’il est pouvoir, il propose la nationalisation de TF1 ou, au moins, le non-renouvellement de la concession de TF1. Le réseau hertzien appartient à l’Etat et l’on peut fermer une chaîne ou la réattribuer, ça s’est déjà fait. La meilleure solution ce serait de fermer toutes celles qui propagent la même vision du monde, non ? Il n’en resterait que deux ou trois et ce ne serait pas plus mal.  C’est seulement à partir de ce moment-là que l’on pourra peut-être créer de vrai médias alternatifs, adoptant des points de vue anti-libéraux, marxistes, anti-productivistes, décroissants…

L’autoproduction

DV: Sur le plan de la formation initiale, vous avez fait l’école de journalisme de Bordeaux ; à l’époque, c’était Pierre Christin le directeur?

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Photo de DARGAUD Edition

PC: Oui, il dirigeait l’école de journalisme et y enseignait. Je suis passé par cette école à la fin des années 1980, après avoir fait une formation d’animateur socio-culturel, en même temps que Gilles Balbastre, le futur réalisateur des « Nouveaux chiens de garde ».  Cette école de journalisme ouvrait son recrutement à des profils un peu atypiques, comme le mien. Ça m’a permis de me former à la caméra et au montage, d’acquérir ma carte de journalisme et d’intégrer en franc-tireur la télévision.

DV: On vous demande pour des conférences?

PC: Quelque fois. L’an dernier j’ai été invité par l’IUT de journalisme de Tours, mais plutôt à la demande des élèves que de la direction. L’école de journalisme de Bordeaux m’a aussi fait venir une fois, il y a longtemps. Je ne suis pas vraiment le bienvenu là-bas. Les écoles des Beaux-arts de Grenoble, de Lyon et de Perpignan m’ont aussi fait intervenir ces dernières années.

DV: Dans le prolongement de vos documentaires, vous écrivez des livres ou des articles?

PC: Des livres non, des articles parfois. Mon travail est avant tout de nature audiovisuel. On aura prochainement une bonne vue d’ensemble de ce travail grâce au site internet <www.pierrecarles.org> en chantier. C’est Alexandre Borrut, un militant de l’ « internet libre », qui est  à l’initiative de ce projet.

DV: Vous êtes dans l’autoproduction? Vous avez un site qui vend vos propres DVD?

PC:  Certaines de mes réalisations sont des autoproductions mais la plupart d’entre elles ont produites par Annie Gonzalez et C-P Productions (cf lien http://www.cp-productions.fr/).  C-P ne produit pas seulement mes documentaires mais également ceux d’autres réalisateurs. C’est le cas de « Squat, la ville est à nous » de Christophe Coello ou « André et les martiens » de Philippe Lespinasse. On édite aussi en dvd les documentaires de Gilles Perret (« De mémoire d’ouvriers », « Les jours heureux »), d’Elvira Diaz. On ne roule pas sur l’or mais on reste indépendant et cela n’a pas de prix.

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 Propos recueillis par Dominique Vergnes
Vidéos reprises de You Tube, Dailymotion et C-P Productions